Le coup d’oeil de la rédaction de TV5 Monde
Ecocide
“Les pollueurs non-payeurs continuent de polluer sans limite, tandis que les victimes de pollution sont des pollués payeurs !” Le cancérologue Dominique Belpomme, initiateur de l’Appel de Paris il y a dix ans (lire ci-contre), souhaite pénaliser la pollution. Pour y parvenir, il a réuni les co-signataires de cet Appel à la Maison de l’Unesco, le 14 novembre 2014. “Notre combat doit se situer au niveau moral et politique”, expose-t-il. Face à la recrudescence des cancers, des malformations congénitales ou encore des maladies chroniques et neurodégénératives, que lui-même et d’autres scientifiques attribuent à un environnement sans cesse pollué, il en appelle à la Cour pénale internationale (CPI).
“Mes contacts auprès de la CPI et de représentants des Nations unies me laissent penser qu’une solution est possible”, estime Dominique Belpomme, pour qui “le droit doit s’adapter à la société et aux lois naturelles”, ces dernières n’étant “pas modifiables, à l’inverse des lois humaines.” Aujourd’hui, le Statut de Rome régissant la CPI ne reconnaît pas de crime relatif à l’environnement en temps de paix.
“Conscience collective”
Agir contre la pollution reste difficile, tant elle dépend d’intérêts économiques. “Le pouvoir économique est dominant et global, relève le virologue et prix Nobel de médecine Luc Montagnier. Il faut travailler ensemble au niveau global. Si seuls quelques pays le font, ce sera inutile”. Émilie Gaillard, maître de conférence en droit privé à l’université de Caen, estime pour sa part que “le droit, pour être légitime, doit venir de la conscience collective. On ne peut pas l’imposer par le haut.”
Ce crime de pollution, s’il était reconnu, pourrait prendre le nom d’”écocide”. C’est-à-dire “des crimes graves environnementaux qui ont un impact sur les générations futures et sur le droit à la vie des générations présentes, indique Valérie Cabanes, juriste en droit international spécialisée dans les droits de l’Homme et porte-parole du mouvement “End Ecocide”. Ce terme existe depuis plus de quarante ans en droit international”.
Lors de la genèse du Statut de Rome, “l’écocide a été défini comme crime de guerre et comme crime en temps de paix, relate-t-elle, mais en 1995, certains États, dont la France, ont fait pression pour qu’il en soit retiré”. Selon la juriste, reconnaître cet écocide comme un crime contre l’humanité permettrait de “lever l’impunité des dirigeants de multinationales”.
De Londres à Bruxelles
Si l’idée de faire reconnaître les atteintes à l’environnement par la justice pénale internationale ne date pas d’hier, les acteurs européens semblent particulièrement mobilisés ces dernières années. En janvier 2014, plusieurs organisations ont signé la Charte de Bruxelles appelant à la création d’un tribunal pénal européen dédié aux affaires de pollution, ainsi qu’à une cour pénale internationale pour l’environnement et la santé.
A l’échelle de l’Union européenne, cela pourrait passer par une modification des statuts de la Cour de justice de l’Union européenne. Au-delà, les initiateurs de cette pétition suggèrent qu’”une révision des statuts de la Cour Pénale internationale (art 121,122 et 123) est possible, en introduisant la catastrophe environnementale comme l’une des incriminations des crimes contre l’humanité permettant de poursuivre les responsables ayant agi de façon intentionnelle. Ce crime de catastrophe environnementale permettrait d’obtenir une protection effective internationale des écosystèmes”.
Déjà en 2010, l’avocate britannique Polly Higgins avait lancé une campagne pour la reconnaissance de l’écocide par le Statut de Rome au même titre que le génocide, le crime contre l’humanité, le crime de guerre et le crime d’agression, comme crime contre la paix. En vain. Cette fois-ci, selon Valérie Cabanes, “il suffirait qu’un seul Etat souhaite porter l’amendement à l’agenda et que 81 États votent en sa faveur pour qu’il soit retenu”. L’Équateur, qui se veut proche de l’environnement, pourrait en être.
Une justice difficile
Pour appuyer leur souhait, les participants rappellent que la pollution est déjà passée devant la justice à plusieurs reprises, mais pas toujours avec le résultat escompté. Comme pour l’Erika qui, en décembre 1999, a sombré au large de la Bretagne alors qu’il était chargé de fioul, causant une importante marée noire et souillant le littoral sur près de 400 Km. “Total a été condamnée à 300 millions d’amende pour un chiffre d’affaires annuel de 12 milliards d’euros”, soupire Valérie Cabanes.
“Au pénal, ces affaires n’aboutissent qu’au bout de dix ans, quand elles aboutissent… déplore Marie-Odile Bertella-Geffroy, juge d’instruction dans le procès du sang contaminé et dans le dossier de l’amiante. Soit les experts judiciaires ne sont pas entendus, soit ils sont incompétents ou avec les lobbies”. À l’échelle internationale, certains des pays ayant la réglementation la plus stricte en matière de protection de l’environnement sont aussi parmi les plus pollueurs. “En Chine, la pollution grave est passible de peine de mort. En Russie, le crime d’écocide existe…”, énumère le juriste Laurent Neyret.
Les bases juridiques pour faire de la pollution un véritable crime pénal sont maintenant connues. Reste à obtenir tous les appuis nécessaires, tant aux niveaux politique que citoyen. La Charte de Bruxelles devrait être remise à Ban Ki-moon lors de l’ouverture de la Conférence de Paris sur le climat, en décembre 2015.