En soutien aux zadistes de NDDL qui expérimentent un nouveau rapport à la nature et à ses ressources… ou plus exactement qui les retrouvent, voici un extrait de mon dernier ouvrage Homo Natura:
« Comment vivre dans le respect des lois naturelles et selon un principe d’équité quand les sols, selon une approche libérale, sont aujourd’hui devenus des propriétés individuelles dont la taille dépend des moyens des propriétaires ? Comment adopter des modes de gouvernance communautaire sans tomber pour autant dans le piège du collectivisme ?
Le concept de propriété est ancré dans la culture occidentale, il n’a jamais été remis en question puisque même la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 dispose que « toute personne, aussi bien seule qu’en collectivité, a droit à la propriété. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété. » Quand il s’agit d’un espace naturel, son appropriation se matérialise par des limites cadastrales ou des frontières à l’échelle d’un territoire national, posées de façon autoritaire par l’homme. Selon le géographe Jacques Lévy, le territoire est « toute portion humanisée de la surface terrestre ». Il symbolise notre rupture avec la nature mais aussi le refus du partage. Parce que ce territoire est à nous et pas aux autres, il devient légitime de le défendre, à l’échelle individuelle comme à l’échelle nationale. Le droit de propriété nous pousse insidieusement à régner en maître sur tout ce qui y vit. Il nous rassure, nous sécurise et il devient alors difficile de le remettre en question. Même si nous nous insurgeons contre la construction de remparts à nos frontières, nous oublions que nous érigeons nous-mêmes des murs autour de nos maisons, affirmant ainsi notre droit de propriété. En droit français, par exemple, une loi de 1892 stipule qu’une propriété privée doit être enclose de murs de 2 m de haut et être dévolue à l’habitation et ses dépendances proches. L’article 544 du Code civil de 1804 avait auparavant posé l’idée que « la propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue ».
Marx a imaginé résoudre ce paradigme en promouvant l’idée d’un socialisme d’État où les moyens de production deviendraient une propriété collective via un processus dit de « socialisation des biens ». Il espérait que le collectivisme économique mènerait au communisme intégral, à l’émergence d’une société sans classes et au dépérissement naturel de l’État. Depuis 1848, date du Manifeste du parti communiste, toutes les tentatives pour mettre en œuvre cette idée ont échoué. Elles ont échoué, entre autres, parce qu’elles promeuvent l’idée que l’humanité a un droit de propriété sur les terres de la Terre. Le manifeste explique que « le communisme n’enlève à personne le pouvoir de s’approprier des pro- duits sociaux ; il n’ôte que le pouvoir d’asservir à l’aide de cette appropriation le travail d’autrui. […] Le communisme, ce n’est pas l’abolition de la propriété en général, mais l’abolition de la propriété bourgeoise. » En aucun cas, donc, la notion de propriété n’est remise en question.
Si nous reprenions à notre compte l’idée première des peuples autochtones, nous devrions privilégier la notion d’usufruit à celle de propriété. Le droit de jouissance de ce territoire serait partagé entre tous ses habitants, humains et non-humains. Sous un régime des communs, les habitants d’un territoire pourraient d’une part s’opposer à sa privatisation et d’autre part réclamer justice. Débarrassée de la notion de propriété, la gestion de ce territoire pourrait alors être collective, démocratique et égalitaire, dans une dynamique de proximité, sans dégradation possible du milieu naturel. Si nous devions nous engager dans un processus de « désappropriation des terres », il faudrait qu’il soit accompagné d’une sanctuarisation du sol reconnu comme commun naturel. Il pourrait alors, selon la taille des familles, être mis à la disposition de ces dernières pour une mise en culture vivrière, ou bien placé en gérance par de petits exploitants s’engageant à produire des aliments sains, à maintenir les cycles naturels de l’écosystème dans lequel ils agissent et à les proposer localement. Les jardins partagés qui fleurissent autour de nos villes sont un avant-goût d’une politique publique qui reconnaît le droit de chaque citoyen à une alimentation saine, équitablement répartie, facilement accessible, sans condition de propriété.
Nous pourrions aller plus loin encore. Nous pourrions demander la possibilité de placer nos propres terres sous servitude de conservation, par acte notarié, à l’image de cet agriculteur américain, J. Stephen Cleghorn, qui a inscrit dans son acte de propriété qu’il reconnaissait des droits à la nature, de façon à protéger son sol et son sous-sol de toute activité nuisible aux écosystèmes, et qu’il se soumettait à ceux-ci. En France, le sous-sol ne nous appartient pas, ce qui permet à l’État de s’en approprier les ressources. À nous de revendiquer, au-delà d’un droit de propriété, un droit du sol et du sous-sol à être préservés dans leurs fonctions vitales. »
Pages 83-89 – Homo Natura, en harmonie avec le vivant ( Buchet/Chastel, 2017)
Une revue qui pense avec les pieds. N°01 Printemps 2018 Puissants paysages
Au sommaire : « Ko Au Te Awa, Ko Te Awa Ko Au » Je suis la rivière et la rivière est moi par Valérie Cabanes
Un écosystème peut-il avoir des droits dans un tribunal ?
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crédit photo : Flickr (thierry ehrmann/CC BY 2.0)
5 avril 2018 / Marisa Fonseca
Les partisans de la notion d’écocide, entendu comme une destruction grave de la planète et de ses ressources, cherchent à l’inscrire dans le droit international, explique l’auteure de cette tribune.
Les débats sur l’écocide sont le reflet d’une évolution, certes lente, de la conception du rapport de l’homme à la nature. Sur le plan philosophique, la vision occidentale classique utilitariste de la nature a conduit à une exploitation des ressources qui n’est plus aujourd’hui compatible avec la préservation de notre planète. Cette approche se distingue de celle de certains peuples indigènes chez lesquels l’héritage culturel et spirituel est fondé sur le respect de la nature (les Maoris en Nouvelle-Zélande, par exemple).
A lire dans Reporterre
Une version approfondie de cette tribune a été publiée sur le site de La Fabrique écologique.
Dans Inexploré , le magazine de l’Inrees, un dossier spécial NATURE avec un entretien accordé à Miriam Gablier sur la mobilisation citoyenne qui révolutionne actuellement nos structures juridiques. S’il reste beaucoup de chemin à faire, les droits de la Terre ont été actés par plusieurs pays. En kiosque.
by admin with no comments yetAmis de l’eau, venez découvrir le nouveau numéro de la revue Orbs : Orbs Spécial Eau.
Un numéro hors série, dédié aux mondes de l’eau !
Nous assistons à une montée en puissance des droits de la nature. Ce changement s’appuie en premier lieu sur une reconnaissance des droits de l’eau, l’eau douce des rivières, l’eau salée de l’Océan. Comme si la conscience collective de l’humanité comprenait enfin le respect dû à l’eau.
Un article écrit pour le numéro spécial d’Orbs sur l’eau. Mars 2018
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A noter le 22 mai 2018 à 19h au studio 104:
Franceinfo organise « Sous les pavés 2018 », un évènement autour des nouveaux combats de l’émancipation et des libertés, au studio 104 de la Maison de la radio où j’interviendrai en compagnie d’Irène Frachon, entre autres. Réservations sur maisondelaradio.fr
by admin with no comments yetIl faut en effet élargir le débat constitutionnel à l’ensemble des paramètres environnementaux – pertes de biodiversité, acidification des océans, aérosols atmosphériques, pollution chimique, etc. –, et pas seulement le climat.
LE MONDE | |
Les signataires de cette tribune sont : Dominique Bourg (philosophe et président du conseil scientifique la Fondation pour la nature et l’homme/FNH), Valérie Cabanes (juriste de droit international), Marie-Anne Cohendet (constitutionnaliste et membre du conseil scientifique de la FNH), Bastien François (constitutionnaliste), Jean Jouzel (climatologue et membre du conseil scientifique de la FNH), Valérie Masson-Delmotte (climatologue), Marie-Antoinette Mélières (climatologue et membre du conseil scientifique de la FNH).
Tribune. Emmanuel Macron souhaite-t-il devenir « le leader de la transition écologique » sur la scène internationale ? Si telle est sa volonté, il va falloir faire de la France un modèle et passer à l’action. Le droit est alors un outil incontournable. Vu l’état de la planète qui continue de se dégrader à un rythme inquiétant, comme le rappelaient encore récemment 15 364 scientifiques, issus de 184 pays dans une tribune (« Il sera bientôt trop tard pour dévier de notre trajectoire vouée à l’échec, et le temps presse », Le Monde, 14 novembre), on ne pourra se passer d’une évolution du droit. Pour accélérer la transition écologique, il conviendra de modifier la Constitution et la façon de produire les lois : traiter les problèmes de façon cloisonnée et en conséquence concevoir les lois isolément les unes des autres, est un gage d’inefficacité environnementale.
Lire aussi : Quinze mille scientifiques alertent sur l’état de la planète
Prétendre protéger le climat sans se soucier du marché de l’énergie, de l’urbanisme, des subventions aux énergies fossiles, etc., est le plus sûr moyen de ne pas atteindre le résultat qu’on s’est fixé. La nature est systémique. Ni l’organisation de l’économie, ni la production des lois ne peuvent l’ignorer impunément. En raison des ambitions du président de la République, il est donc permis d’espérer que la révision constitutionnelle prévue pour 2018 permettra un renforcement opératoire de la protection de l’environnement, et au premier chef du climat.
Mais sous quelle forme renforcer la protection de l’environnement, et notamment du climat, dans la Constitution ? Faut-il ne parler que du climat ? Mais quid alors du caractère systémique des difficultés ? En outre, ce serait assez mal avisé, l’année d’une importante conférence mondiale sur la biodiversité (COP), de ne pas la prendre en compte.
L’introduction du climat seul dans la Constitution pourrait en outre nourrir des effets pervers. Par exemple, c’est au nom du climat, et du climat considéré isolément, que la pêche électrique avait été autorisée de façon dérogatoire aux Pays-Bas, alors qu’elle est interdite dans le monde entier. L’argument était que les chaluts électriques, plus légers et ne raclant pas les fonds, exigent une consommation moindre de carburant, et sont ainsi plus favorables au climat. Cette pratique n’en est pas moins catastrophique pour la biodiversité marine, déjà grandement fragilisée ; raison pour laquelle la Chine l’a prohibée en 2000. Le parlement européen a fini par l’interdire totalement le 16 janvier.
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Ne considérer que la baisse des rejets de gaz à effet de serre, à l’exclusion des autres dimensions environnementales, pourrait déboucher sur des options très néfastes pour l’environnement. Cela équivaudrait à ne pas prendre en compte les implications d’éventuelles stratégies d’action en matière de santé publique ou de biodiversité. Ce serait susceptible d’encourager, autre exemple, la motorisation diesel, moins émettrice de gaz à effet de serre que les moteurs à essence, alors même que l’utilisation du diesel a des conséquences environnementales et sanitaires délétères (la pollution de l’air aux particules fines est responsable de plusieurs dizaines de milliers de morts chaque année en France).
Le même raisonnement pourrait valoir pour l’énergie nucléaire ou la géo-ingénierie. D’ailleurs les prochains rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) auront une approche beaucoup plus intégrée que le seul angle « climat » et considéreront, dans leur cadrage, les perspectives des trois grandes conventions (climat, biodiversité et désertification) ainsi que les différentes dimensions du développement durable et des objectifs 2030.
D’où, on le constate, l’importance de bien faire apparaître le climat comme un des paramètres – même s’il est essentiel – d’un environnement sain et équilibré. Les autres paramètres sont tout aussi importants, ils sont énumérés par la littérature scientifique internationale par l’expression « limites planétaires ».
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Il s’agit, outre le changement climatique, des pertes de biodiversité, des perturbations globales du cycle de l’azote et du phosphore, de l’usage des sols, de l’acidification des océans, de la déplétion de la couche d’ozone, des aérosols atmosphériques, de l’usage de l’eau douce et de la pollution chimique.
Ne respecter que le seul paramètre du climat, au détriment des autres, ne peut que conduire à s’éloigner de l’objectif souhaité. Cela tient au caractère systémique de la nature. Le propre des systèmes naturels est en effet l’interdépendance de leurs composants. La chose est connue depuis des lustres même si on n’en a tenu guère compte politiquement à ce jour.
On ne saurait agir sur un composant sans prendre en considération les effets induits sur les autres. L’ONU s’est d’ailleurs récemment inquiétée des effets sanitaires de certaines actions climatiques. Introduire l’ignorance de l’interdépendance des paramètres environnementaux en n’en constitutionnalisant qu’un seul, ne constituerait pas une avancée, mais un lourd recul environnemental.
La disparition des mangroves ne peut par exemple que rendre plus destructrice la montée du niveau des mers. Plus généralement, une planète avec des écosystèmes équilibrés résistera d’autant mieux au changement climatique, et des écosystèmes en berne ne peuvent à l’inverse qu’accroître les effets délétères du changement climatique… On ne saurait agir en faveur du climat en détruisant la biodiversité, et vice-versa.
Lire aussi : Le Parlement européen demande l’interdiction de la pêche électrique
Que faire alors ? Il est impératif d’adopter la vision systémique et interdépendante de l’écologie en hissant au niveau des normes constitutionnelles l’ensemble des paramètres d’un environnement équilibré. Il n’est pas souhaitable de réviser la Charte de l’environnement, qui fait partie du préambule de la Constitution et qui fait l’objet d’une application très progressive et modérée. Il serait beaucoup plus simple, plus clair et plus significatif de compléter l’article premier de notre Constitution, qui évoque les grands principes de notre République.
Nous pourrions ainsi imaginer l’ajout suivant à l’actuel article 1 de la Constitution : « La République veille à un usage économe et équitable des ressources. Elle garantit aux générations présentes et futures un environnement sain et sûr en veillant au respect des limites planétaires, à savoir les grands équilibres interdépendants qui conditionnent l’habitabilité de la Terre. »
Un tel article contraindrait à éclairer les grands projets de loi d’études d’impact plus solides et efficaces et conduirait en particulier le législateur à enfin prendre en compte le caractère systémique des phénomènes naturels.
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Les scientifiques ont identifié 9 processus et systèmes déterminants pour rendre la terre compatible avec la vie humaine. 9 « limites planétaires » à respecter absolument que la Fondation pour la Nature et l’ Homme propose d’intégrer dans la Constitution à l’occasion de la réforme constitutionnelle qui s’annonce. J’ai collaboré en décembre 2017 avec les équipes de la FNH pour préparer cet argumentaire, consultable dans son intégralité dans ce PDF limites_planetaires
Le projet d’intégrer le respect des limites planétaires dans la constitution s’inscrit dans une dynamique mondiale visant à appréhender l’interdépendance des enjeux environnementaux. Pour ce faire, Ban Ki-moon évoque dès l’Assemblée générale de 2011 les limites planétaires comme outil de mesure scientifique. S’adressant aux dirigeants du monde, il déclare « Aidez-nous à défendre la science qui montre que nous déstabilisons notre climat et dépassons les limites planétaires à un degré périlleux ». Le Panel de haut niveau de l’ONU sur la viabilité du développement mondial (UN High-Panel Level on Sustainability) inclut la notion de limites planétaires (planetary boundaries) dans son texte de présentation (2012). Le « Rapport sur l’Etat de l’environnement » de l’Agence européenne pour l’environnement rendu en 2010 hisse les limites planétaires au rang de « priorité environnementale ». La Commission européenne exploite ce concept en 2011 afin de définir ses objectifs : « D’ici à 2050, l’économie de l’UE aura crû de façon à respecter les contraintes de ressources et les limites planétaires ».
Nous proposons d’ajouter à l’Article 1 de la Constitution française : « La République veille à un usage économe et équitable des ressources. Elle garantit aux générations présentes et futures un environnement sain et sûr en veillant au respect des limites planétaires, à savoir les grands équilibres interdépendants qui conditionnent l’habitabilité de la Terre ».
Le travail n’est pas fini car d’autres propositions constitutionnelles vont être portées par un collectif d’ONGs dont Notre affaire à tous.
La notion des limites planétaires relève d’une démarche scientifique. Neuf processus et systèmes régulent la stabilité et la résilience du système terrestre – les interactions de la terre, de l’océan, de l’atmosphère et de la vie qui, ensemble, fournissent les conditions d’existence dont dépendent nos sociétés. Des seuils à ne pas dépasser sont définis pour chacun d’entre eux sous peine de perdre la stabilité du système et donc l’hospitalité de la Terre :
Pour ma part, je propose que ces seuils soient chiffrés et inscrits dans la loi pour que l’instruction judiciaire puisse s’appuyer sur ces données scientifiques établies par le Stockolm Resilience Center. Des valeurs seuils ont été définies pour sept d’entre elles. Lorsqu’une limite ne peut donner lieu à un seuil chiffré sur le plan global, cela reste possible sur un plan régional ou donner lieu à la définition de seuils par composants, par exemple par polluant :
1 Le changement climatique :
2 L’érosion de la biodiversité: le taux d’extinction « normal » des espèces doit rester inférieur à 10 espèces par an sur un million.
3 Les apports d’azote et de phosphore à la biosphère et aux océans (résultant notamment de l’agriculture et de l’élevage intensifs) :
4 Le changement d’usage des sols : Pourcentage de la couverture terrestre mondiale convertie en terres cultivées = ≤ 15% de la surface terrestre libre de glace convertie en terres cultivées.
5 L’acidification des océans : Concentration en ions carbonates par rapport à l’état moyen de saturation de l’aragonite dans les eaux de surface des océans (Ωarag) = ≥ 80% par rapport à l’état de saturation moyen préindustriel, y compris la variabilité saisonnière naturelle et saisonnière.
6 L’appauvrissement de l’ozone stratosphérique : Concentration d’O3 stratosphérique, DU = <5% de réduction par rapport au niveau préindustriel de 290 UA.
7 L’usage de l’eau douce : Consommation d’eau bleue / km3 / an sur Terre = < 4,000 km3/an
8 La dispersion d’aérosols atmosphériques : Concentration globale de particules dans l’atmosphère, sur une base régionale.
9 La pollution chimique (composés radioactifs, métaux lourds, composés organiques synthétiques tels que pesticides, produits et sous-produits chimiques industriels à longue durée de vie et migrant dans les sols et l’eau parfois sur de très longues distances), y compris l’introduction d’entités nouvelles dans la biosphère comme les nanoparticules et molécules de synthèse.
Les limites planétaires sont l’outil qui permettrait à terme de reconnaître le crime d’écocide dans le droit pénal français.
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par Valérie Cabanes [12-02-2018]
(…) La destruction de l’écosystème Terre par des technologies industrielles irrespectueuses du vivant conduit à hypothéquer les conditions de vie des générations actuelles et futures. Les personnes physiques, mais aussi les entités morales qui sont activement responsables de cette destruction, doivent pouvoir être poursuivies en justice lorsque leurs décisions portent atteinte à l’intégrité du vivant et donc à la sûreté de la planète. Ils commettent un crime d’écocide, le crime premier, celui qui ruine les conditions mêmes d’habitabilité de la Terre. Une série d’acteurs tente, depuis plusieurs décennies maintenant, de faire reconnaître la valeur intrinsèque de la nature et le droit des écosystèmes à exister en inventant les moyens légaux de les défendre en justice.
(…) Il est vrai que l’heure devient grave. La dégradation des conditions de vie sur Terre et l’accélération de la destruction des écosystèmes de la planète rendent plus urgente encore l’adoption de mesures innovantes contraignantes pour contrôler l’activité humaine, en particulier industrielle (Cabanes 2016). Le système économique actuel, qui s’accompagne de modes de consommation et de production non durables, n’a cessé d’altérer les dynamiques et le fonctionnement de l’ensemble du système terrestre dans une mesure sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Selon le bulletin annuel de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) publié le 30 octobre 2017, en 2016 jamais la concentration de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère, gaz responsable du réchauffement climatique, n’avait atteint un niveau aussi élevé. La dernière fois que la Terre a connu une teneur en CO2 comparable, c’était il y a 3 à 5 millions d’années : la température était de 2 à 3 °C plus élevée et le niveau de la mer était supérieur de 10 à 20 mètres par rapport au niveau actuel. Selon le secrétaire général de l’OMM, le Finlandais Petteri Taalas : « Les générations à venir hériteront d’une planète nettement moins hospitalière. » Une étude publiée en août 2017 par une équipe de l’université Cornell aux États-Unis révélait qu’un cinquième de la population mondiale sera déplacée d’ici 2050 en raison de l’importante montée des eaux qui se prépare et que 2 milliards de personnes pourraient devenir des réfugiés climatiques d’ici la fin du siècle si le climat ne se stabilise pas. Nous assistons parallèlement à une sixième extinction des espèces. L’Indice Planète vivante du WWF révèle que les populations mondiales de poissons, d’oiseaux, de mammifères, d’amphibiens et de reptiles ont régressé de 58 % entre 1970 et 2012. Près de 80 % de la biomasse des insectes a disparu en moins de 30 ans en Europe, selon une étude allemande publiée fin octobre 2017. Et selon le World Resources Institute, 80 % de la couverture forestière mondiale originelle a été abattue ou dégradée, là aussi essentiellement au cours des 30 dernières années. Enfin, selon le quatrième rapport du Groupement d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), 30 % de toutes les espèces animales et végétales seraient menacés d’extinction si le climat se réchauffait de 1,5 à 2,5 °C par rapport à 1850.
Depuis la montée en puissance des multinationales dans les années 1970, le droit des entreprises et les règles du commerce mondial ont tendance à primer de plus en plus sur les droits de l’homme et n’ont aucun respect pour les écosystèmes. Il devient nécessaire de réaffirmer la suprématie des droits de l’homme sur le droit commercial, d’une part, mais aussi de reconnaître que nos droits fondamentaux sont conditionnés par le respect de normes supérieures définies par des lois biologiques. Si les conditions de la vie elle-même sont menacées, comment pourrions-nous espérer garantir à l’humanité son droit à l’eau, à l’alimentation, à la santé et même à l’habitat ?
(…) Pour assurer une fonction de prévention efficace, l’écocide devrait être défini comme un crime de responsabilité stricte selon une connaissance établie de ses conséquences probables, ce que permet l’article 30 du Statut de la CPI. C’est ce qui est aujourd’hui reproché aux dirigeants politiques, économiques et financiers. Ils connaissent les raisons et les conséquences de la catastrophe climatique et environnementale en cours et n’agissent pas à la hauteur des enjeux. Par exemple, concernant le climat, selon l’ONU Environnement, les engagements pris en 2015 par les 195 pays parties prenantes de l’accord de Paris, dont 169 l’ont à ce jour ratifié, ne permettront que d’accomplir « approximativement un tiers » des efforts nécessaires alors que la Terre s’achemine aujourd’hui vers une hausse du thermomètre de 3 à 3,2 °C à la fin du siècle. Concernant les entreprises, le rapport Carbon Majors Report 2017, paru le 10 juillet 2017, nous indique que, depuis 1988, année où a été mis en place le GIEC, les entreprises censées à ce moment-là être au courant des effets de leurs activités sur l’environnement n’ont pas freiné le développement intensif des activités responsables de fortes émissions de CO2 et ont peu investi dans les énergies propres. Au contraire, elles ont commencé à investir dans des énergies non conventionnelles, telles que les sables bitumineux ou le pétrole de schiste, ayant un fort impact sur l’environnement. Selon ce rapport, si l’extraction des énergies fossiles continue au rythme des 28 dernières années, les températures devraient même augmenter de 4 °C d’ici à la fin du siècle par rapport à l’ère préindustrielle. Concernant les financeurs, leurs subventions aux combustibles fossiles sont loin d’être stoppées. En Europe, ce sont 112 milliards d’euros qui sont annuellement dépensés dans ces énergies, dont 4 milliards d’aide directement fournis par l’Union européenne à l’extraction, et de très nombreuses subventions supplémentaires allouées à ces énergies. Selon le FMI, les subventions directes et indirectes aux combustibles fossiles s’élèvent dans le monde à 5 340 milliards de dollars par an.
Pour mettre en œuvre une véritable obligation de vigilance environnementale et sanitaire, le juge doit être en capacité de sanctionner pénalement tous types d’entités morales, États comme multinationales, et, bien entendu, leurs dirigeants, pour ne pas perpétuer certains régimes d’impunité. Il est demandé à la Cour pénale internationale de statuer de façon indépendante en appliquant fermement le principe de compétence universelle, selon un intérêt supérieur commun placé au-dessus des États avec une juridiction possible sur n’importe quel territoire national quand des écosystèmes vitaux pour l’humanité sont menacés. Le juge doit être en capacité d’imposer des devoirs aux générations actuelles en vue de préserver l’environnement pour les générations futures. Il s’agirait ainsi de saisir la justice en leur nom en reconnaissant à l’humanité des droits et devoirs transgénérationnels, comme le propose le Projet de déclaration universelle des droits de l’humanité porté par Corine Lepage auprès des Nations unies. Cette déclaration propose notamment de fixer des droits et des devoirs non plus individuels mais collectifs, de reconnaître le principe d’interdépendance entre les espèces vivantes, d’assurer leur droit à exister et le droit de l’humanité à vivre dans un environnement sain et écologiquement soutenable.
Ces dispositions ouvriraient la voie à une justice préventive – climatique, environnementale et sanitaire – à l’échelle globale. Le principe de précaution, tel que posé par l’article 15 de la Déclaration de Rio à l’issue du Sommet de la Terre de 1992, deviendrait alors une obligation et un outil précieux pour le juge international. Il permettrait de stopper des activités industrielles responsables d’écocides en cours ou susceptibles d’en provoquer, par le biais de mesures conservatoires.
by admin with no comments yetEntretien avec Jean-Denis Renard – Sud Ouest – 26 janvier 2018
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