Extrait d’un article de Claire Chartier, publié le
dans L’Express
« L’âme du monde »
On sent, dans ce juste retour des choses, un besoin de continuité et d’unité, la nostalgie d’une vision cosmologique des temps anciens, où palpitait en chaque élément « l’âme du monde » aristotélicienne. Une vision à l’unisson des spiritualités orientales, dont la vogue persistante illustre la soif d’harmonie de notre époque blessée. Même les plantes nous « parlent », désormais. Il faudrait être aveugle ou méditant du désert pour ne pas avoir avisé en librairie la moisson d’ouvrages vantant les bains de forêts et autres célébrations végétales. Ce n’est plus un phénomène d’édition, c’est une marée verte. Dans son livre L’intelligence des plantes (Albin Michel), le chercheur italien Stefano Mancuso insiste sur notre dépendance envers les végétaux, sans lesquels nous ne pourrions pas survivre au-delà de quelques mois.
De là découlent de nouvelles revendications, qui secouent un peu plus l’outrecuidant primate sur son piédestal. « Le droit de la nature à maintenir la vie sur terre est un préalable à celui de l’humanité si elle veut perdurer », écrit ainsi la juriste Valérie Cabanes (Homo natura, Buchet-Chastel). Pour que la nature voie ses intérêts – croître dans de bonnes conditions, être préservée – dûment protégés, il faut que des poursuites puissent être engagées, au nom des plantes, des cours d’eau, du ciel…
L’Equateur, la Bolivie ou le Mexique ont déjà inscrit les droits de la nature dans leur Constitution. En Inde du Nord, le Gange, les ruisseaux, lacs, forêts et vallées de l’Etat d’Uttarakhand sont reconnus comme des personnes. « La Haute Cour de l’Etat a expliqué dans sa décision que porter atteinte aux droits de ces écosystèmes serait dorénavant perçu comme un préjudice aussi grave que l’atteinte aux droits des personnes humaines, et serait donc jugé de manière équivalente », précise Valérie Cabanes.
Quand bien même l’anthropocentrisme serait en passe de devenir chez nous une maladie honteuse, un tel jugement fait tiquer. Il y a pourtant un peu de cette philosophie-là dans le mouvement antispéciste, lorsqu’il revendique des droits pour nos amies les bêtes « non-humaines ». Et, à bien y songer, cette exigence est encore de l’humanisme. Non plus tel que Jean-Paul Sartre l’entendait – « une théorie qui prend l’homme comme fin et comme valeur supérieure » – mais comme le concevait l’ethnologue Claude Lévi-Strauss : « Un humanisme bien ordonné (…) place le monde avant la vie, la vie avant l’homme, le respect des autres êtres avant l’amour-propre. »
Lire l’article complet ici : https://www.lexpress.fr/culture/espece-menacees-et-l-homme-dans-tout-ca_2018496.html
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– 1er Juin – Annonay 20h – La Bio dans les étoiles – Nourrir la Terre
http://www.labiodanslesetoiles.com/infos-pratiques/
– 4 juin – Choisy Le Roi / Bar de la marine 19h30 – Université populaire d’Ecologie – La Nature a aussi des droits
– 5 juin – Metz /Hotel de Ville 19h- Institut européen d’écologie avec Ernst Zurcher – En harmonie avec la nature, les leçons de l’arbre
http://evenements.developpement-durable.gouv.fr/campagnes/evenement/10096
– 9 juin – Paris / CNAM 16h – Colloque transition énergétique et humanisme – L’énergie et la Vie
– 12 juillet – 18h Webinar – Accorder des droits à la nature
http://therightsofnature.org/webinar/
– 21 juillet – Eco-dialogue Festival de Thau 18h30 – Retrouver une relation pacifiée avec la nature
https://eco-dialogues.fr/invites/valerie-cabannes/
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A noter le 22 mai 2018 à 19h au studio 104:
Franceinfo organise « Sous les pavés 2018 », un évènement autour des nouveaux combats de l’émancipation et des libertés, au studio 104 de la Maison de la radio où j’interviendrai en compagnie d’Irène Frachon, entre autres. Réservations sur maisondelaradio.fr
by admin with no comments yetpar Valérie Cabanes [12-02-2018]
(…) La destruction de l’écosystème Terre par des technologies industrielles irrespectueuses du vivant conduit à hypothéquer les conditions de vie des générations actuelles et futures. Les personnes physiques, mais aussi les entités morales qui sont activement responsables de cette destruction, doivent pouvoir être poursuivies en justice lorsque leurs décisions portent atteinte à l’intégrité du vivant et donc à la sûreté de la planète. Ils commettent un crime d’écocide, le crime premier, celui qui ruine les conditions mêmes d’habitabilité de la Terre. Une série d’acteurs tente, depuis plusieurs décennies maintenant, de faire reconnaître la valeur intrinsèque de la nature et le droit des écosystèmes à exister en inventant les moyens légaux de les défendre en justice.
(…) Il est vrai que l’heure devient grave. La dégradation des conditions de vie sur Terre et l’accélération de la destruction des écosystèmes de la planète rendent plus urgente encore l’adoption de mesures innovantes contraignantes pour contrôler l’activité humaine, en particulier industrielle (Cabanes 2016). Le système économique actuel, qui s’accompagne de modes de consommation et de production non durables, n’a cessé d’altérer les dynamiques et le fonctionnement de l’ensemble du système terrestre dans une mesure sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Selon le bulletin annuel de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) publié le 30 octobre 2017, en 2016 jamais la concentration de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère, gaz responsable du réchauffement climatique, n’avait atteint un niveau aussi élevé. La dernière fois que la Terre a connu une teneur en CO2 comparable, c’était il y a 3 à 5 millions d’années : la température était de 2 à 3 °C plus élevée et le niveau de la mer était supérieur de 10 à 20 mètres par rapport au niveau actuel. Selon le secrétaire général de l’OMM, le Finlandais Petteri Taalas : « Les générations à venir hériteront d’une planète nettement moins hospitalière. » Une étude publiée en août 2017 par une équipe de l’université Cornell aux États-Unis révélait qu’un cinquième de la population mondiale sera déplacée d’ici 2050 en raison de l’importante montée des eaux qui se prépare et que 2 milliards de personnes pourraient devenir des réfugiés climatiques d’ici la fin du siècle si le climat ne se stabilise pas. Nous assistons parallèlement à une sixième extinction des espèces. L’Indice Planète vivante du WWF révèle que les populations mondiales de poissons, d’oiseaux, de mammifères, d’amphibiens et de reptiles ont régressé de 58 % entre 1970 et 2012. Près de 80 % de la biomasse des insectes a disparu en moins de 30 ans en Europe, selon une étude allemande publiée fin octobre 2017. Et selon le World Resources Institute, 80 % de la couverture forestière mondiale originelle a été abattue ou dégradée, là aussi essentiellement au cours des 30 dernières années. Enfin, selon le quatrième rapport du Groupement d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), 30 % de toutes les espèces animales et végétales seraient menacés d’extinction si le climat se réchauffait de 1,5 à 2,5 °C par rapport à 1850.
Depuis la montée en puissance des multinationales dans les années 1970, le droit des entreprises et les règles du commerce mondial ont tendance à primer de plus en plus sur les droits de l’homme et n’ont aucun respect pour les écosystèmes. Il devient nécessaire de réaffirmer la suprématie des droits de l’homme sur le droit commercial, d’une part, mais aussi de reconnaître que nos droits fondamentaux sont conditionnés par le respect de normes supérieures définies par des lois biologiques. Si les conditions de la vie elle-même sont menacées, comment pourrions-nous espérer garantir à l’humanité son droit à l’eau, à l’alimentation, à la santé et même à l’habitat ?
(…) Pour assurer une fonction de prévention efficace, l’écocide devrait être défini comme un crime de responsabilité stricte selon une connaissance établie de ses conséquences probables, ce que permet l’article 30 du Statut de la CPI. C’est ce qui est aujourd’hui reproché aux dirigeants politiques, économiques et financiers. Ils connaissent les raisons et les conséquences de la catastrophe climatique et environnementale en cours et n’agissent pas à la hauteur des enjeux. Par exemple, concernant le climat, selon l’ONU Environnement, les engagements pris en 2015 par les 195 pays parties prenantes de l’accord de Paris, dont 169 l’ont à ce jour ratifié, ne permettront que d’accomplir « approximativement un tiers » des efforts nécessaires alors que la Terre s’achemine aujourd’hui vers une hausse du thermomètre de 3 à 3,2 °C à la fin du siècle. Concernant les entreprises, le rapport Carbon Majors Report 2017, paru le 10 juillet 2017, nous indique que, depuis 1988, année où a été mis en place le GIEC, les entreprises censées à ce moment-là être au courant des effets de leurs activités sur l’environnement n’ont pas freiné le développement intensif des activités responsables de fortes émissions de CO2 et ont peu investi dans les énergies propres. Au contraire, elles ont commencé à investir dans des énergies non conventionnelles, telles que les sables bitumineux ou le pétrole de schiste, ayant un fort impact sur l’environnement. Selon ce rapport, si l’extraction des énergies fossiles continue au rythme des 28 dernières années, les températures devraient même augmenter de 4 °C d’ici à la fin du siècle par rapport à l’ère préindustrielle. Concernant les financeurs, leurs subventions aux combustibles fossiles sont loin d’être stoppées. En Europe, ce sont 112 milliards d’euros qui sont annuellement dépensés dans ces énergies, dont 4 milliards d’aide directement fournis par l’Union européenne à l’extraction, et de très nombreuses subventions supplémentaires allouées à ces énergies. Selon le FMI, les subventions directes et indirectes aux combustibles fossiles s’élèvent dans le monde à 5 340 milliards de dollars par an.
Pour mettre en œuvre une véritable obligation de vigilance environnementale et sanitaire, le juge doit être en capacité de sanctionner pénalement tous types d’entités morales, États comme multinationales, et, bien entendu, leurs dirigeants, pour ne pas perpétuer certains régimes d’impunité. Il est demandé à la Cour pénale internationale de statuer de façon indépendante en appliquant fermement le principe de compétence universelle, selon un intérêt supérieur commun placé au-dessus des États avec une juridiction possible sur n’importe quel territoire national quand des écosystèmes vitaux pour l’humanité sont menacés. Le juge doit être en capacité d’imposer des devoirs aux générations actuelles en vue de préserver l’environnement pour les générations futures. Il s’agirait ainsi de saisir la justice en leur nom en reconnaissant à l’humanité des droits et devoirs transgénérationnels, comme le propose le Projet de déclaration universelle des droits de l’humanité porté par Corine Lepage auprès des Nations unies. Cette déclaration propose notamment de fixer des droits et des devoirs non plus individuels mais collectifs, de reconnaître le principe d’interdépendance entre les espèces vivantes, d’assurer leur droit à exister et le droit de l’humanité à vivre dans un environnement sain et écologiquement soutenable.
Ces dispositions ouvriraient la voie à une justice préventive – climatique, environnementale et sanitaire – à l’échelle globale. Le principe de précaution, tel que posé par l’article 15 de la Déclaration de Rio à l’issue du Sommet de la Terre de 1992, deviendrait alors une obligation et un outil précieux pour le juge international. Il permettrait de stopper des activités industrielles responsables d’écocides en cours ou susceptibles d’en provoquer, par le biais de mesures conservatoires.
by admin with no comments yetÉmission Sur le rebord du monde sur RCF
lundi 5 février à 13h30
Durée émission : 25 min présentée par Béatrice Soltner
Interview de Valérie Cabanes, juriste auteur d’ « Un nouveau droit pour la terre » ed.Seuil et « Homo natura » ed.Buchet-Chastel.
Forêt rasée, océan pollué, air vicié, la terre souffre et nous voici plongé dans l’anthropocène, spectateur sidéré, vivant une ère inédite où pour la première fois de son histoire l’homme s’empoisonne à mort en assassinant son milieu nourricier.
Les dommages sont tels que des voix réclament la reconnaissance internationale du crime d’écocide, ce fut le cas par exemple en mai 2016 lorsque le Tribunal international contre Monsanto affirmait que les activités de la multinationale causaient des dommages aux sols, à l’eau et à l’environnement. Les 5 juges concluaient que les faits rapportés pourraient relever de la Cour pénale internationale.
by admin with no comments yetLe colloque co-organisé par Notre affaire à tous et France Libertés « Le droit au service de la justice climatique: jurisprudences et mobilisations citoyennes » s’est tenu le vendredi 3 novembre 2017 à l’auditorium de la Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord.
Le changement climatique menace dès à présent et plus que jamais la survie de l’humanité et de l’ensemble des écosystèmes. Pourtant, les États et les humains peinent à modifier leurs comportements afin de tenir compte de cette donnée fondamentale. Sans attendre les décisions de la diplomatie internationale ni l’action des différents gouvernements, nous avons chacun entrepris une initiative audacieuse : porter devant les tribunaux nationaux les questions de responsabilité liées à la justice climatique et à la prise en compte des limites planétaires. Ce mouvement est profond : il porte non seulement les germes de véritables avancées doctrinales en matière environnementale, mais également une révolution dans laquelle les citoyen-nes se saisissent des tribunaux pour préserver leurs droits fondamentaux et notre planète.
Partout à travers le monde, les mouvements et personnalités qui se sont saisis de la justice climatique et environnementale ont adopté des stratégies diverses mais toujours audacieuses pour faire valoir leurs démarches. Protection des plus jeunes ou des aînées, associations, avocats ou entreprises, individus ou collectif…
Etaient présents au colloque les représentant(es) des divers mouvements pour la justice climatique au niveau mondial :
Anne Mahrer – Les Aînées pour la protection du climat (Suisse)
Client’s Earth (Grande-Bretagne)
Dinesh Chandra Pandey (Wildlife Trust of India)
Dennis Van Berkel (Urgenda)
Our children’s trust (Etats-Unis)
Klimaatzaak (Belgique)
Chaque recours national pour la justice climatique est unique, car si toutes les initiatives ont pour but de préserver le droit à un environnement sain et de faire reconnaître la responsabilité de l’État, les pays ont leur ordre juridique propre. Cette table-ronde se donne ainsi pour objectif de comparer les fondements juridiques invoqués par les divers requérants afin d’en faire émerger les points communs et différences, et de réfléchir aux contours d’un « droit climatique » international et national.
A l’issue du colloque, l’association « Notre affaire à tous » ( que j’ai co-fondée avec Marie Toussaint, Présidente) a posé un ultimatum au gouvernement. Ce dernier a trois mois pour appliquer cinq requêtes sur le réchauffement, faute de quoi elle déposera un recours contre l’État pour son inaction sur le changement climatique. Lire les explications de Novethic ici
by admin with no comments yetDOSSIER Urgence climatique : Une révolution vitale
dans Politis
En lecture libre avec l’autorisation de Politis, mon entretien avec Ingrid Merckx
« Reconnaître le crime d’écocide »
Dans un essai philosophique et politique, Valérie Cabanes exhorte à agir sur tous les leviers possibles pour se préparer au changement d’ère.
« Nous scions la branche sur laquelle nous sommes assis et fermons les yeux », assène Valérie Cabanes. Juriste en droit international et droits de l’homme, et spécialiste de la question d’écocide, elle publie Homo Natura [1] pour grimper d’un cran après son plaidoyer pour Un nouveau droit pour la terre [2]. L’heure n’est plus à la prise de conscience mais à une forme de révolution : il faut en finir avec la suprématie de la souveraineté nationale qui, face au changement climatique, menace l’écosystème terrestre mais aussi la paix. Il faut instaurer dans le droit international des normes scientifiques qui fassent primer les droits de la nature sur ceux des multinationales. Il faut défendre les droits de la nature en partant des territoires. Il faut enfin garantir un droit du climat à rester stable et un droit des générations futures à vivre dans un climat tempéré.
La lutte contre le réchauffement climatique n’est-elle pas majoritairement anthropocentrée ?
Valérie Cabanes : Le droit s’est construit d’un point de vue anthropocentré. On est loin de pouvoir respecter l’engagement de Paris, c’est-à-dire de rester en dessous de +2 C°, voire même de 1,5 C°. Si le climat se modifie tel qu’annoncé et qu’il atteint +4 C°, on s’achemine vers une situation catastrophique pour l’humanité, mais aussi pour tous les autres êtres vivants qui n’auront pas le temps de s’adapter. Il y a donc toutes les raisons d’agir de façon radicale aujourd’hui. Il y a 11 500 ans environ, à la fin de la période de glaciation, la température moyenne globale sur Terre est montée de 4 C°, or les océans sont montés de 60 mètres, ce qui a entraîné une reconfiguration géographique globale. Pourtant, nous sommes encore dans le déni de ce qui va arriver à une vitesse effrayante.
Près de 60 millions d’Africains sub-sahariens vont devoir quitter leurs terres d’ici à trois ans, 250 millions de personnes d’ici à 2050. Mais rien dans les politiques publiques n’anticipe cette crise. Il n’y a pas que le changement climatique qui menace la stabilité de la Terre. D’autres limites planétaires ont été atteintes. La biodiversité s’est complètement effondrée, puisque nous sommes entrés dans la sixième extinction des espèces. On constate que 80 % des insectes auraient disparu en Europe, 60 % des espèces qui vivent sur Terre. Sommes-nous la prochaine espèce amenée à disparaître ? On a oublié de considérer que l’humain était interdépendant avec les autres espèces et les écosystèmes de la Terre. Si on veut préserver l’humanité, il faut préserver les conditions de vie sur notre planète. C’est pourquoi, même avec une vision strictement anthropocentrée, je ne comprends pas pourquoi on ne parvient pas à prendre les décisions qui s’imposent.
Est-ce à dire que le droit de la nature doit primer sur celui de l’humanité ?
Si une révolution doit avoir lieu, elle se situe dans l’échelle des normes que l’on a adoptées depuis 500 ans. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les États ont eu la volonté de créer une institution leur permettant de définir des règles communes pour essayer de se respecter les uns les autres, de respecter les droits humains et de maintenir les conditions de la paix. Jusqu’aux années 1970, notre échelle des normes faisait primer les droits humains à travers des grands textes internationaux et la déclaration des droits de l’homme.
À partir des années 1970, les multinationales ont renversé cette échelle de normes en considérant que le droit commercial devait primer sur les droits humains, puis sur celui de l’environnement. Ces entreprises ont été oubliées dans la construction du droit international et jouissent aujourd’hui d’une totale impunité. Elles sont parfois plus puissantes que les États et tentent de négocier les réglementations en fonction de leurs intérêts propres. Au regard des lois biologiques, qui ont été complètement occultées, il faudrait renverser cette échelle des normes pour que prime le droit de la vie à se perpétrer, ce qui permettra de protéger les conditions de la vie humaine et donc les droits fondamentaux de l’humanité : l’eau, l’alimentation, l’habitat, etc. Le droit économique devrait ainsi s’assujettir aux deux autres. C’est une émanation de l’humanité, il ne devrait pas déterminer l’avenir de tous les écosystèmes.
Ne sommes-nous pas face à un problème de rapport de force ?
Le rapport de force exprime une réalité : le changement climatique est un révélateur des inégalités et les amplifie. Aujourd’hui, 1 % des habitants sur Terre détiennent à eux seuls plus que les 99 % restants. Ces 1 % les plus riches polluent 175 fois plus que les 10 % les plus pauvres. En 2010, 388 personnes avaient un patrimoine équivalent à celui de la moitié de la population mondiale. Aujourd’hui, elles ne sont plus que cinq, concentrant les richesses. Et 90 entreprises, responsables des deux tiers des émissions de gaz à effet de serre, mènent le monde et décident de ce que sera notre avenir commun.
Quand on parle de chaos, il faut bien comprendre ce que vont subir les trois quarts de l’humanité dans les décennies qui viennent. On ne peut pas rester bras croisés à attendre que l’ère industrielle engloutisse une partie de l’humanité. Il y a un moment où il faut appeler à la révolte. Sans quoi seuls les plus nantis survivront. Ils s’y préparent d’ailleurs. Ce n’est pas du complotisme mais une réalité chiffrée. J’ai écrit Un nouveau droit pour la Terre pour poser des faits : un bilan planétaire effrayant, des inégalités économiques criantes, et un droit de l’environnement qui n’évolue pas de manière à protéger les conditions de la vie sur terre. Mon second livre, Homo Natura, se penche sur ce qu’il faudrait oser faire pour les pallier.
Vous identifiez plusieurs freins, quels sont-ils ?
Le premier frein, c’est le principe de souveraineté nationale. Chaque État vit dans une vision à court terme et continue à tenir un discours visant à maintenir la croissance. C’est une aberration. Le club de Rome, en 1973, a montré les limites du développement économique : on va arriver à un stade d’épuisement des ressources qui va nous faire basculer dans une crise économique durable.
Des limites biologiques planétaires ont également été définies par le Stockholm Resilience Center depuis 2009 : changement climatique, chute de la biodiversité, mais aussi qualité des sols, usage de l’eau douce, acidification de l’océan et rejets écotoxiques sont autant de menaces pour la paix… Ces limites ont été revues en 2015 et adoptées par les Nations unies comme un des indicateurs pour déterminer les objectifs de développement durable. Elles déterminent le point où l’on bascule dans un état planétaire auquel nous ne sommes pas préparés. Elles devraient être reconnues comme des normes juridiques qui s’imposent à la communauté internationale.
Ce qui s’est passé lors de la conférence sur le climat à Paris montre que personne n’a compris ces enjeux-là. Même si cet accord pose des objectifs intéressants pour limiter le réchauffement, il n’est pas contraignant et peut permettre à Donald Trump de s’en dédouaner. La souveraineté nationale reste la clé de voûte du droit international. C’est pourtant un principe qui peut nuire à la survie de l’humanité. Les États doivent comprendre que le destin de chaque nation est lié à celui des autres. Et revenir à une vision d’abord universelle et idéalement écosystémique.
Du côté des citoyens, certains sont encore dans le déni et n’ont pas envie de quitter leur petit confort des riches cités occidentales. Certains sont dans la sidération : tellement effrayés par ce qu’ils entendent qu’ils ne savent plus quoi faire et sont paralysés. Et d’autres essaient de faire bouger les lignes en disant : « Réappropriez-vous la démocratie et faites revivre une démocratie des territoires où peuvent s’expérimenter une nouvelle forme de vivre ensemble dans le respect des écosystèmes. »
Et c’est là que la sagesse de peuples autochtones est intéressante à analyser : des populations ont réussi à vivre sans abîmer leur environnement pendant des millénaires. Benki Piyako, de la tribu des Ashaninkas, en Amazonie, a décidé qu’ils vivraient désormais en dehors de la société occidentale. Ils ont réappris à vivre en autarcie. Ils ont reboisé leur territoire. Des tortues disparues des rivières ont recommencé à s’y développer par milliers. Il faut à la fois faire en sorte que le droit international s’impose aux politiques nationales au nom d’un intérêt supérieur commun : l’habitabilité de la Terre. Et que les citoyens remettent en place des liens sociaux forts construits sur la solidarité et la coopération qui expriment cette réalité biologique : nous sommes tous interdépendants.
Qui pour représenter les droits de la nature ?
Il existe deux niveaux en droit : le public et le pénal. Il faut agir sur les deux. J’œuvre pour que l’on puisse reconnaître au sein de la Cour pénale internationale (CPI) un cinquième crime contre la paix qui serait le crime d’écocide. Cela permettrait de reconnaître les droits de l’écosystème « Terre » à se maintenir et donc à des citoyens de porter plainte contre des décideurs politiques ou des chefs d’entreprise qui favoriseraient des projets menaçant cet écosystème. Un juge de la CPI pourrait poser des mesures conservatoires en disant : « Il existe des projets industriels qui ne sont plus tolérables car ils participent à la transgression des limites planétaires et donc j’interdis les sables bitumineux en Alberta », par exemple…
Pour ce qui est du droit public, reconnaître les droits de la nature revient à les inscrire dans la Constitution, idéalement, ou à différents niveaux de législation. Cela a commencé à émerger dans les pays sud-américains, sociétés multiethniques très influencées par la pensée autochtone. En 2008, l’Équateur a inscrit les droits de la nature dans sa Constitution ; en 2009, la Bolivie les a reconnus par la loi ; en 2017, ce fut au tour du Mexique de les inscrire dans sa Constitution. C’est en train d’exploser dans le monde.
Dans un État du nord de l’Inde, face à l’incompétence des politiques pour régler la pollution du Gange, un des dix fleuves les plus pollués au monde, une juridiction a décidé en mars 2017 de reconnaître ce fleuve comme une entité vivante, de même que son affluent, la Yamuna, et tous les écosystèmes himalayens sur son territoire. Elle leur a donné une personnalité juridique, de même que la possibilité pour des personnes désignées « des parents » – du latin parentis – de parler au nom des écosystèmes quand ils sont menacés. Ils se sont inspirés de la spiritualité indienne pour le justifier : le Gange est reconnu comme une déesse qui abreuve plusieurs États. La Nouvelle-Zélande a aussi reconnu un parc et un fleuve comme des entités vivantes et leur a donné la possibilité d’être défendus en justice avec comme gardiens la communauté Maori, laquelle considère ces écosystèmes comme ses ancêtres. Les Maoris se battent pour cela depuis 150 ans et viennent de l’obtenir d’un gouvernement blanc occidental.
On peut donc envisager que des juges occidentaux s’intéressent à ces sujets. Aux États-Unis, trente municipalités ont reconnu les droits de la nature dans leur législation locale, ce qui leur a permis de se défendre contre des projets de fracturation hydraulique. Comme on ne peut encore, en droit, défendre les droits des générations futures, car ce sont des personnes non nées, c’est une parade efficace pour contrer des projets dont les conséquences néfastes ne sont pas immédiates sur l’homme. Enfin, une plainte vient d’être déposée aux États-Unis pour faire reconnaître la rivière Colorado par la justice comme une entité vivante. En Nouvelle-Calédonie, dans les îles Loyauté à 90 % Kanak, ils sont en train d’adopter un code de l’environnement qui reconnaît le principe unitaire de vie et qui pourrait, à terme, être inscrit dans le code civil français si la Nouvelle-Calédonie ne devient pas totalement indépendante en 2018. Ce serait une jurisprudence extraordinaire.
Finalement, il n’y a pas de différence entre représenter un mineur en justice et défendre un écosystème. Dans le cadre de la défense des droits de la nature, c’est parfois des décisions politiques mais souvent le courage de certains juges qui permet de faire avancer une jurisprudence de la Terre. Il existe aux Nations unies une initiative nommée « Harmony with Nature », dont je fais partie, qui travaille sur cette jurisprudence. La jurisprudence concernant notre droit à un environnement sain contribue également à faire avancer la justice climatique.
Partout dans le monde, des juges ont à se prononcer dans des recours juridiques « climat » contre l’État. C’est d’ailleurs l’objet d’un colloque inédit organisé à Paris le 3 novembre, réunissant les acteurs, citoyens et ONG, qui de par le monde attaquent leurs gouvernements en justice pour non-respect de ses engagements climatiques [3]. Il faudrait pouvoir reconnaître le droit des générations futures à vivre dans un climat tempéré et un environnement sain. Et de reconnaître à l’atmosphère terrestre le droit de ne pas être perturbée par l’activité humaine. Une sorte d’intégrité et de pérennité climatique à défendre. La Terre a subi énormément d’évolutions en 3,7 milliards d’années mais un changement d’ère géologique en moins de 150 ans, ça ne s’est vu qu’à cause d’une météorite ou d’explosions volcaniques, mais jamais à cause de l’activité d’une espèce vivante : en l’occurrence l’homme.
Droits de la nature, lutte contre la déforestation et l’exploitation des énergies fossiles, contrer les multinationales… où commence l’urgence ?
Je défends une vision écosystémique du monde : pas de hiérarchie dans les fronts. Les limites planétaires nous démontrent bien qu’il y a des boucles de rétroactions entre les événements. Le changement climatique a un impact sur la chute de la biodiversité, laquelle a un impact sur le changement climatique : quand on déforeste, on détruit les espèces mais on a aussi un impact sur les cycles des pluies. Déforester l’Amazonie va créer une zone désertique et avoir un impact sur le climat mondial. Il est normal que chaque front citoyen, chaque ONG se spécialise sur un domaine, mais il faut revendiquer des choix politiques et un droit qui essaie de répondre à toutes les problématiques en même temps. C’est pourquoi je défends cette idée de placer les limites planétaires, qui sont des indicateurs scientifiques, comme des normes internationales pour cadrer les activités industrielles. Ce basculement normatif mais aussi philosophique concernant le droit de la nature à exister s’impose et nous permettrait de retrouver notre juste place.
Vous évoquez des modes de gouvernance écosystémiques ? En quoi cela consisterait ?
La fonction des politiques est de créer des lois. Le droit est toujours un état des lieux de notre conscience collective. Nous percevoir comme interdépendants les uns des autres et des autres écosystèmes permet de construire une vision politique différente. Elle doit prendre appui sur de nouveaux leviers. Le niveau étatique montre ses limites puisque la souveraineté nationale menace la paix dans le cadre du changement climatique, chaque État ayant à cœur dans une vison court-termiste et électoraliste de défendre son économie avant tout, sans considération pour les conséquences à l’échelle planétaire. Des modes de gouvernance respectueux des écosystèmes doivent alors s’expérimenter à un niveau local et montrer l’exemple. Aujourd’hui, les villes vont plus vite que les États. Des métropoles un peu partout dans le monde se sont engagées à respecter les accords de Paris. Et les droits de la nature sont d’abord adoptés dans des territoires avant de l’être par l’État. Je crois aussi que chaque citoyen devrait agir en priorité selon des lois universelles pour réaffirmer que nous sommes d’abord des habitants de la Terre avant d’être les citoyens d’une nation.
En attendant que ce droit se mette en place, la demande citoyenne est-elle contrainte à des formes de désobéissance ?
J’entrevois deux formes de désobéissance : boycotter des produits de consommation courante qui sont destructeurs. Il faut déserter les supermarchés, changer de mode de consommation, appuyer les circuits courts et l’agro-écologie. L’appel au boycott est interdit en France mais on peut se mettre dans une démarche à titre individuel. Le bio explose en France mais aussi de nouveaux mode de dé-consommation : la pénurie de vinaigre blanc et de savon de Marseille dans les rayons en témoigne et c’est enthousiasmant. Il faut aussi remettre en place des formes de démocratie directe dans les territoires pour sortir d’une démocratie représentative qui déresponsabilise chacun et brise la solidarité. Ce changement viendra du bas. Ça peut paraître long face à l’urgence posée par changement climatique. Mais nous, dans les pays tempérés, vivons encore de manière très confortable. Nous avons donc encore quelques années pour anticiper ce qui va se passer et se préparer à la suite, ce que ne peuvent pas faire les populations qui sont déjà dans la survie. C’est un luxe. Il faut donc semer des graines de résilience pour que les populations prennent conscience qu’elles ne pourront plus vivre comme aujourd’hui et leur donner les moyens de s’adapter.
Propos recueillis par Ingrid Merckx
[1] Homo Natura, en harmonie avec le vivant, Valérie Cabanes, Buchet Chastel, 128 pages, 12 euros.
[2] Un nouveau droit pour la Terre, Valérie Cabanes, coll. « Anthropocène », Seuil, 368 p., 20 euros.
[3] « Le droit au service de la justice climatique », colloque organisé par Notre Affaire à tous et la Fondation France-Libertés, le 3 novembre, Maison des sciences de l’Homme Paris-Nord, 20, av. George-Sand, Saint-Denis la Plaine.
#1476 1 NOVEMBRE 2017 POLITIS
Climat : Cet ouragan qui va frapper
L’effondrement, une idée qui monte
Demain, habiter la Terre
Valérie Cabanes : « Reconnaître le crime d’écocide »
Le chaos est déjà en marche
Homo Natura: nous sommes la nature. Notre civilisation technologique l’aurait-elle oublié? Plaidoyer pour une redistribution des rôles et des responsabilités plus équitables.
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Plénière d’ouverture d’EELV aux journées d’été 2017 sur le thème « écologie et politique : quel avenir ? » avec David Cormand, secrétaire national d’EELV – Eric Piolle, maire de Grenoble – Benoît Hamon, candidat à l’élection présidentielle – Valérie Cabanes, porte parole d’End Ecocide on Earth – Marie Pierre Vieu, députée européenne communiste – Clémence Dubois, chargée de campagne pour 350.org
En réponse aux interventions de professionnels de la politique, j’interviens en conclusion de ce débat sur le principe de souveraineté nationale, frein à l’humanisme et à la protection du vivant, la démocratie locale et participative pour faire vivre la transition dans les faits et les droits de la nature comme norme supérieure à revendiquer et à faire respecter par les États et les multinationales.
Puis je réponds à deux demandes de précisions de la part de David Cormand à 2:00:00
Émission Les lanceurs d’alerte de Claire Nouvian sur France Inter du 19 août 2017
avec Valérie Cabanes et Dominique Bourg
En 2014, 116 activistes écologistes étaient assassinés en défendant l’environnement. Des crimes non seulement restés impunis mais souvent commis avec la complicité des Etats.
Le seul tort de ces nouveaux défenseurs de la Terre ? Tenter d’empêcher des multinationales de détruire des écosystèmes remarquables et ancestraux, dans leur quête de nouveaux minerais ou de nouvelles ressources à exploiter.
Droits humains = droits de la nature
Une grande partie des victimes sont des peuples autochtones, comme les Indiens Guarani au Brésil, qui tentent en vain de s’opposer à la spoliation et la destruction de leur lieu de vie, d’histoire, d’enracinement…
Aujourd’hui, défendre les droits de l’homme revient bien souvent à défendre les droits de la Terre. Or, la nature n’a pas de droits. Les cours d’eau, les arbres, les océans, les animaux sont dénués de statut juridique. Pour défendre la biosphère, il faut nécessairement démontrer les impacts de la destruction ou de la pollution de l’environnement sur les humains.
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