Comment faire de la nature un projet politique et repenser la gestion des problèmes environnementaux ?
La Tête au carré – Mathieu Vidard – émission du 14 décembre 2017 sur France Inter
L’attitude des Français vis-à-vis de la nature est très différente celle de nos voisins germanophones et anglophones. C’est le constat que fait Valérie Chansigaud dans son nouveau livre intitulé Les Français et la nature, Pourquoi si peu d’amour ?
Comment expliquer cette désaffection? Pourquoi est-il si difficile de mobiliser les Français pour la sauvegarde de la faune et de la flore ?
Pour cette historienne des sciences et de l’environnement, l’intérêt pour la nature s’accompagne toujours d’une dimension sociale et politique.
Pour Valérie Cabanes, l’humanité doit retrouver son rôle originel : celui de gardienne de la Terre pour vivre « en harmonie avec la nature ».
Juriste, elle appelle dans ses livres à une métamorphose du droit international pour mieux protéger la planète Terre et ses habitants.
Les références
Les Français et la nature, Pourquoi si peu d’amour ? écrit par Valérie Chansigaud (Actes Sud)
Homo natura, En harmonie avec le vivant écrit par Valérie Cabanes (Buchet Chastel)
Un nouveau droit pour la Terre : Pour en finir avec l’écocide écrit par Valérie Cabanes (Seuil)
DOSSIER Urgence climatique : Une révolution vitale
dans Politis
En lecture libre avec l’autorisation de Politis, mon entretien avec Ingrid Merckx
« Reconnaître le crime d’écocide »
Dans un essai philosophique et politique, Valérie Cabanes exhorte à agir sur tous les leviers possibles pour se préparer au changement d’ère.
« Nous scions la branche sur laquelle nous sommes assis et fermons les yeux », assène Valérie Cabanes. Juriste en droit international et droits de l’homme, et spécialiste de la question d’écocide, elle publie Homo Natura [1] pour grimper d’un cran après son plaidoyer pour Un nouveau droit pour la terre [2]. L’heure n’est plus à la prise de conscience mais à une forme de révolution : il faut en finir avec la suprématie de la souveraineté nationale qui, face au changement climatique, menace l’écosystème terrestre mais aussi la paix. Il faut instaurer dans le droit international des normes scientifiques qui fassent primer les droits de la nature sur ceux des multinationales. Il faut défendre les droits de la nature en partant des territoires. Il faut enfin garantir un droit du climat à rester stable et un droit des générations futures à vivre dans un climat tempéré.
La lutte contre le réchauffement climatique n’est-elle pas majoritairement anthropocentrée ?
Valérie Cabanes : Le droit s’est construit d’un point de vue anthropocentré. On est loin de pouvoir respecter l’engagement de Paris, c’est-à-dire de rester en dessous de +2 C°, voire même de 1,5 C°. Si le climat se modifie tel qu’annoncé et qu’il atteint +4 C°, on s’achemine vers une situation catastrophique pour l’humanité, mais aussi pour tous les autres êtres vivants qui n’auront pas le temps de s’adapter. Il y a donc toutes les raisons d’agir de façon radicale aujourd’hui. Il y a 11 500 ans environ, à la fin de la période de glaciation, la température moyenne globale sur Terre est montée de 4 C°, or les océans sont montés de 60 mètres, ce qui a entraîné une reconfiguration géographique globale. Pourtant, nous sommes encore dans le déni de ce qui va arriver à une vitesse effrayante.
Près de 60 millions d’Africains sub-sahariens vont devoir quitter leurs terres d’ici à trois ans, 250 millions de personnes d’ici à 2050. Mais rien dans les politiques publiques n’anticipe cette crise. Il n’y a pas que le changement climatique qui menace la stabilité de la Terre. D’autres limites planétaires ont été atteintes. La biodiversité s’est complètement effondrée, puisque nous sommes entrés dans la sixième extinction des espèces. On constate que 80 % des insectes auraient disparu en Europe, 60 % des espèces qui vivent sur Terre. Sommes-nous la prochaine espèce amenée à disparaître ? On a oublié de considérer que l’humain était interdépendant avec les autres espèces et les écosystèmes de la Terre. Si on veut préserver l’humanité, il faut préserver les conditions de vie sur notre planète. C’est pourquoi, même avec une vision strictement anthropocentrée, je ne comprends pas pourquoi on ne parvient pas à prendre les décisions qui s’imposent.
Est-ce à dire que le droit de la nature doit primer sur celui de l’humanité ?
Si une révolution doit avoir lieu, elle se situe dans l’échelle des normes que l’on a adoptées depuis 500 ans. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les États ont eu la volonté de créer une institution leur permettant de définir des règles communes pour essayer de se respecter les uns les autres, de respecter les droits humains et de maintenir les conditions de la paix. Jusqu’aux années 1970, notre échelle des normes faisait primer les droits humains à travers des grands textes internationaux et la déclaration des droits de l’homme.
À partir des années 1970, les multinationales ont renversé cette échelle de normes en considérant que le droit commercial devait primer sur les droits humains, puis sur celui de l’environnement. Ces entreprises ont été oubliées dans la construction du droit international et jouissent aujourd’hui d’une totale impunité. Elles sont parfois plus puissantes que les États et tentent de négocier les réglementations en fonction de leurs intérêts propres. Au regard des lois biologiques, qui ont été complètement occultées, il faudrait renverser cette échelle des normes pour que prime le droit de la vie à se perpétrer, ce qui permettra de protéger les conditions de la vie humaine et donc les droits fondamentaux de l’humanité : l’eau, l’alimentation, l’habitat, etc. Le droit économique devrait ainsi s’assujettir aux deux autres. C’est une émanation de l’humanité, il ne devrait pas déterminer l’avenir de tous les écosystèmes.
Ne sommes-nous pas face à un problème de rapport de force ?
Le rapport de force exprime une réalité : le changement climatique est un révélateur des inégalités et les amplifie. Aujourd’hui, 1 % des habitants sur Terre détiennent à eux seuls plus que les 99 % restants. Ces 1 % les plus riches polluent 175 fois plus que les 10 % les plus pauvres. En 2010, 388 personnes avaient un patrimoine équivalent à celui de la moitié de la population mondiale. Aujourd’hui, elles ne sont plus que cinq, concentrant les richesses. Et 90 entreprises, responsables des deux tiers des émissions de gaz à effet de serre, mènent le monde et décident de ce que sera notre avenir commun.
Quand on parle de chaos, il faut bien comprendre ce que vont subir les trois quarts de l’humanité dans les décennies qui viennent. On ne peut pas rester bras croisés à attendre que l’ère industrielle engloutisse une partie de l’humanité. Il y a un moment où il faut appeler à la révolte. Sans quoi seuls les plus nantis survivront. Ils s’y préparent d’ailleurs. Ce n’est pas du complotisme mais une réalité chiffrée. J’ai écrit Un nouveau droit pour la Terre pour poser des faits : un bilan planétaire effrayant, des inégalités économiques criantes, et un droit de l’environnement qui n’évolue pas de manière à protéger les conditions de la vie sur terre. Mon second livre, Homo Natura, se penche sur ce qu’il faudrait oser faire pour les pallier.
Vous identifiez plusieurs freins, quels sont-ils ?
Le premier frein, c’est le principe de souveraineté nationale. Chaque État vit dans une vision à court terme et continue à tenir un discours visant à maintenir la croissance. C’est une aberration. Le club de Rome, en 1973, a montré les limites du développement économique : on va arriver à un stade d’épuisement des ressources qui va nous faire basculer dans une crise économique durable.
Des limites biologiques planétaires ont également été définies par le Stockholm Resilience Center depuis 2009 : changement climatique, chute de la biodiversité, mais aussi qualité des sols, usage de l’eau douce, acidification de l’océan et rejets écotoxiques sont autant de menaces pour la paix… Ces limites ont été revues en 2015 et adoptées par les Nations unies comme un des indicateurs pour déterminer les objectifs de développement durable. Elles déterminent le point où l’on bascule dans un état planétaire auquel nous ne sommes pas préparés. Elles devraient être reconnues comme des normes juridiques qui s’imposent à la communauté internationale.
Ce qui s’est passé lors de la conférence sur le climat à Paris montre que personne n’a compris ces enjeux-là. Même si cet accord pose des objectifs intéressants pour limiter le réchauffement, il n’est pas contraignant et peut permettre à Donald Trump de s’en dédouaner. La souveraineté nationale reste la clé de voûte du droit international. C’est pourtant un principe qui peut nuire à la survie de l’humanité. Les États doivent comprendre que le destin de chaque nation est lié à celui des autres. Et revenir à une vision d’abord universelle et idéalement écosystémique.
Du côté des citoyens, certains sont encore dans le déni et n’ont pas envie de quitter leur petit confort des riches cités occidentales. Certains sont dans la sidération : tellement effrayés par ce qu’ils entendent qu’ils ne savent plus quoi faire et sont paralysés. Et d’autres essaient de faire bouger les lignes en disant : « Réappropriez-vous la démocratie et faites revivre une démocratie des territoires où peuvent s’expérimenter une nouvelle forme de vivre ensemble dans le respect des écosystèmes. »
Et c’est là que la sagesse de peuples autochtones est intéressante à analyser : des populations ont réussi à vivre sans abîmer leur environnement pendant des millénaires. Benki Piyako, de la tribu des Ashaninkas, en Amazonie, a décidé qu’ils vivraient désormais en dehors de la société occidentale. Ils ont réappris à vivre en autarcie. Ils ont reboisé leur territoire. Des tortues disparues des rivières ont recommencé à s’y développer par milliers. Il faut à la fois faire en sorte que le droit international s’impose aux politiques nationales au nom d’un intérêt supérieur commun : l’habitabilité de la Terre. Et que les citoyens remettent en place des liens sociaux forts construits sur la solidarité et la coopération qui expriment cette réalité biologique : nous sommes tous interdépendants.
Qui pour représenter les droits de la nature ?
Il existe deux niveaux en droit : le public et le pénal. Il faut agir sur les deux. J’œuvre pour que l’on puisse reconnaître au sein de la Cour pénale internationale (CPI) un cinquième crime contre la paix qui serait le crime d’écocide. Cela permettrait de reconnaître les droits de l’écosystème « Terre » à se maintenir et donc à des citoyens de porter plainte contre des décideurs politiques ou des chefs d’entreprise qui favoriseraient des projets menaçant cet écosystème. Un juge de la CPI pourrait poser des mesures conservatoires en disant : « Il existe des projets industriels qui ne sont plus tolérables car ils participent à la transgression des limites planétaires et donc j’interdis les sables bitumineux en Alberta », par exemple…
Pour ce qui est du droit public, reconnaître les droits de la nature revient à les inscrire dans la Constitution, idéalement, ou à différents niveaux de législation. Cela a commencé à émerger dans les pays sud-américains, sociétés multiethniques très influencées par la pensée autochtone. En 2008, l’Équateur a inscrit les droits de la nature dans sa Constitution ; en 2009, la Bolivie les a reconnus par la loi ; en 2017, ce fut au tour du Mexique de les inscrire dans sa Constitution. C’est en train d’exploser dans le monde.
Dans un État du nord de l’Inde, face à l’incompétence des politiques pour régler la pollution du Gange, un des dix fleuves les plus pollués au monde, une juridiction a décidé en mars 2017 de reconnaître ce fleuve comme une entité vivante, de même que son affluent, la Yamuna, et tous les écosystèmes himalayens sur son territoire. Elle leur a donné une personnalité juridique, de même que la possibilité pour des personnes désignées « des parents » – du latin parentis – de parler au nom des écosystèmes quand ils sont menacés. Ils se sont inspirés de la spiritualité indienne pour le justifier : le Gange est reconnu comme une déesse qui abreuve plusieurs États. La Nouvelle-Zélande a aussi reconnu un parc et un fleuve comme des entités vivantes et leur a donné la possibilité d’être défendus en justice avec comme gardiens la communauté Maori, laquelle considère ces écosystèmes comme ses ancêtres. Les Maoris se battent pour cela depuis 150 ans et viennent de l’obtenir d’un gouvernement blanc occidental.
On peut donc envisager que des juges occidentaux s’intéressent à ces sujets. Aux États-Unis, trente municipalités ont reconnu les droits de la nature dans leur législation locale, ce qui leur a permis de se défendre contre des projets de fracturation hydraulique. Comme on ne peut encore, en droit, défendre les droits des générations futures, car ce sont des personnes non nées, c’est une parade efficace pour contrer des projets dont les conséquences néfastes ne sont pas immédiates sur l’homme. Enfin, une plainte vient d’être déposée aux États-Unis pour faire reconnaître la rivière Colorado par la justice comme une entité vivante. En Nouvelle-Calédonie, dans les îles Loyauté à 90 % Kanak, ils sont en train d’adopter un code de l’environnement qui reconnaît le principe unitaire de vie et qui pourrait, à terme, être inscrit dans le code civil français si la Nouvelle-Calédonie ne devient pas totalement indépendante en 2018. Ce serait une jurisprudence extraordinaire.
Finalement, il n’y a pas de différence entre représenter un mineur en justice et défendre un écosystème. Dans le cadre de la défense des droits de la nature, c’est parfois des décisions politiques mais souvent le courage de certains juges qui permet de faire avancer une jurisprudence de la Terre. Il existe aux Nations unies une initiative nommée « Harmony with Nature », dont je fais partie, qui travaille sur cette jurisprudence. La jurisprudence concernant notre droit à un environnement sain contribue également à faire avancer la justice climatique.
Partout dans le monde, des juges ont à se prononcer dans des recours juridiques « climat » contre l’État. C’est d’ailleurs l’objet d’un colloque inédit organisé à Paris le 3 novembre, réunissant les acteurs, citoyens et ONG, qui de par le monde attaquent leurs gouvernements en justice pour non-respect de ses engagements climatiques [3]. Il faudrait pouvoir reconnaître le droit des générations futures à vivre dans un climat tempéré et un environnement sain. Et de reconnaître à l’atmosphère terrestre le droit de ne pas être perturbée par l’activité humaine. Une sorte d’intégrité et de pérennité climatique à défendre. La Terre a subi énormément d’évolutions en 3,7 milliards d’années mais un changement d’ère géologique en moins de 150 ans, ça ne s’est vu qu’à cause d’une météorite ou d’explosions volcaniques, mais jamais à cause de l’activité d’une espèce vivante : en l’occurrence l’homme.
Droits de la nature, lutte contre la déforestation et l’exploitation des énergies fossiles, contrer les multinationales… où commence l’urgence ?
Je défends une vision écosystémique du monde : pas de hiérarchie dans les fronts. Les limites planétaires nous démontrent bien qu’il y a des boucles de rétroactions entre les événements. Le changement climatique a un impact sur la chute de la biodiversité, laquelle a un impact sur le changement climatique : quand on déforeste, on détruit les espèces mais on a aussi un impact sur les cycles des pluies. Déforester l’Amazonie va créer une zone désertique et avoir un impact sur le climat mondial. Il est normal que chaque front citoyen, chaque ONG se spécialise sur un domaine, mais il faut revendiquer des choix politiques et un droit qui essaie de répondre à toutes les problématiques en même temps. C’est pourquoi je défends cette idée de placer les limites planétaires, qui sont des indicateurs scientifiques, comme des normes internationales pour cadrer les activités industrielles. Ce basculement normatif mais aussi philosophique concernant le droit de la nature à exister s’impose et nous permettrait de retrouver notre juste place.
Vous évoquez des modes de gouvernance écosystémiques ? En quoi cela consisterait ?
La fonction des politiques est de créer des lois. Le droit est toujours un état des lieux de notre conscience collective. Nous percevoir comme interdépendants les uns des autres et des autres écosystèmes permet de construire une vision politique différente. Elle doit prendre appui sur de nouveaux leviers. Le niveau étatique montre ses limites puisque la souveraineté nationale menace la paix dans le cadre du changement climatique, chaque État ayant à cœur dans une vison court-termiste et électoraliste de défendre son économie avant tout, sans considération pour les conséquences à l’échelle planétaire. Des modes de gouvernance respectueux des écosystèmes doivent alors s’expérimenter à un niveau local et montrer l’exemple. Aujourd’hui, les villes vont plus vite que les États. Des métropoles un peu partout dans le monde se sont engagées à respecter les accords de Paris. Et les droits de la nature sont d’abord adoptés dans des territoires avant de l’être par l’État. Je crois aussi que chaque citoyen devrait agir en priorité selon des lois universelles pour réaffirmer que nous sommes d’abord des habitants de la Terre avant d’être les citoyens d’une nation.
En attendant que ce droit se mette en place, la demande citoyenne est-elle contrainte à des formes de désobéissance ?
J’entrevois deux formes de désobéissance : boycotter des produits de consommation courante qui sont destructeurs. Il faut déserter les supermarchés, changer de mode de consommation, appuyer les circuits courts et l’agro-écologie. L’appel au boycott est interdit en France mais on peut se mettre dans une démarche à titre individuel. Le bio explose en France mais aussi de nouveaux mode de dé-consommation : la pénurie de vinaigre blanc et de savon de Marseille dans les rayons en témoigne et c’est enthousiasmant. Il faut aussi remettre en place des formes de démocratie directe dans les territoires pour sortir d’une démocratie représentative qui déresponsabilise chacun et brise la solidarité. Ce changement viendra du bas. Ça peut paraître long face à l’urgence posée par changement climatique. Mais nous, dans les pays tempérés, vivons encore de manière très confortable. Nous avons donc encore quelques années pour anticiper ce qui va se passer et se préparer à la suite, ce que ne peuvent pas faire les populations qui sont déjà dans la survie. C’est un luxe. Il faut donc semer des graines de résilience pour que les populations prennent conscience qu’elles ne pourront plus vivre comme aujourd’hui et leur donner les moyens de s’adapter.
Propos recueillis par Ingrid Merckx
[1] Homo Natura, en harmonie avec le vivant, Valérie Cabanes, Buchet Chastel, 128 pages, 12 euros.
[2] Un nouveau droit pour la Terre, Valérie Cabanes, coll. « Anthropocène », Seuil, 368 p., 20 euros.
[3] « Le droit au service de la justice climatique », colloque organisé par Notre Affaire à tous et la Fondation France-Libertés, le 3 novembre, Maison des sciences de l’Homme Paris-Nord, 20, av. George-Sand, Saint-Denis la Plaine.
#1476 1 NOVEMBRE 2017 POLITIS
Climat : Cet ouragan qui va frapper
L’effondrement, une idée qui monte
Demain, habiter la Terre
Valérie Cabanes : « Reconnaître le crime d’écocide »
Le chaos est déjà en marche
Critique de l’ouvrage « Homo Natura, en harmonie avec le vivant » (Buchet Chastel, 2017)
Par Aude Massiot—
by admin with no comments yetUn point de vue développé dans la revue La pensée écologique, coordonnée par Dominique Bourg.
Reconnaître le crime d’écocide pour faire face à l’effondrement. Valérie Cabanes
Vol 1 (1) – octobre 2017
Depuis 2012, des peuples autochtones du continent africain, préoccupés par l’état de santé détérioré de la planète et l’avenir de nos enfants, indignés par toutes les destructions que l’industrialisation fait subir à la nature et en l’absence de cadre contraignant l’activité humaine au respect des limites planétaires connues, ont travaillé à la rédaction d’une déclaration présentée en 2015 et nommée : Déclaration des communautés gardiennes africaines. Cette déclaration se présente comme un appel à l’action auprès de la Commission africaine, chargée de faire appliquer la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, pour la reconnaissance et la protection des sites naturels et des territoires sacrés ainsi que des systèmes de gouvernance coutumiers en Afrique. L’appel, inspiré par les recommandations d’un rapport de 2012 sur le même sujet au Kenya, propose de placer la Terre comme référence ultime pour toute forme de vie ou d’activité sur la planète et de la reconnaître comme pivot du Droit. Ainsi, grâce à un continuel plaidoyer, dans des pays comme l’Afrique du Sud, l’Éthiopie, l’Ouganda, le Kenya, le Bénin, le Ghana, des écosystèmes comme des chutes d’eau, des rivières, des forêts, des montagnes, des lacs ont été reconnus comme des sites sacrés et ont pu être protégés de l’exploitation industrielle en leur donnant par exemple le statut de réserve de biosphère par l’Unesco.
Cette démarche est à l’œuvre partout dans le monde. Des peuples autochtones, habitants originaux des continents du monde, revendiquent la protection de sites naturels qu’ils considèrent comme sacrés. Malgré le fait que ces populations possèdent différentes cosmologies et différents symboles, elles tirent leurs lois et leurs coutumes d’une vérité centrale considérant la Terre comme « la mère de toute forme de vie » et comme une entité légitime et ordonnée. Ces traditions révèrent leurs terres ancestrales car elles constituent la source primaire du sens de la vie et de toute identité. Quand elles sont maintenues, la connaissance et la sagesse du droit ancien sont transmises par les ainés, des hommes et des femmes sages responsables de la pratique des rituels de la terre, de la médiation avec les ancêtres, de la transmission de leurs connaissances aux générations suivantes. Les sites naturels sacrés sont des territoires d’importance écologique, culturelle et spirituelle, intégrés dans les terres ancestrales. Pour eux, un territoire comprend les plantes, les animaux, les esprits des anciens, toute forme de vie sur terre, y compris les humains, et atteint les profondeurs de la terre, dont le sous-sol et plus loin, les roches et les minéraux ainsi que les hauteurs du ciel jusqu’aux constellations célestes. Leur rôle et leur signification leur sont irremplaçables. Ce sont des centres de connaissances et d’apprentissage intergénérationnel, et c’est ainsi qu’elles deviennent des sources de droit. Les systèmes de gouvernance coutumiers sont en effet fondés sur la relation que ces peuples entretiennent avec ces lieux. Leurs lois coutumières découlent ainsi des lois de la Terre et ils se considèrent comme garants de leur application.
La suite ici en accès et téléchargement libre : http://lapenseeecologique.com/reconnaitre-le-crime-decocide-pour-faire-face-a-leffondrement/
by admin with no comments yetUn long entretien publié dans le magazine Féminin Bio octobre/novembre 2017
autour de l’ouvrage Homo Natura.
Qu’en est-il du constat sur la perte de biodiversité, de l’impact sur notre équilibre ?
Le 10 mai 2017, SOL m’a accueilli avec Noël Mamère, journaliste, documentariste et homme politique français engagé sur les questions environnementales. Depuis toujours, la biodiversité, la richesse et l’équilibre des écosystèmes sont essentiels pour notre propre vie, pour la capacité de notre espèce à pouvoir perdurer. Menacée par l’activité humaine depuis de nombreuses années, ces équilibres précaires subissent des impacts de plus en plus intenses et rythmés. Pourtant des solutions ont déjà été réfléchies et pensées mais qu’en est-il de leur mise en œuvre? Comment créer un cadre pour préserver notre Terre, notre santé?
by admin with no comments yet
Plénière d’ouverture d’EELV aux journées d’été 2017 sur le thème « écologie et politique : quel avenir ? » avec David Cormand, secrétaire national d’EELV – Eric Piolle, maire de Grenoble – Benoît Hamon, candidat à l’élection présidentielle – Valérie Cabanes, porte parole d’End Ecocide on Earth – Marie Pierre Vieu, députée européenne communiste – Clémence Dubois, chargée de campagne pour 350.org
En réponse aux interventions de professionnels de la politique, j’interviens en conclusion de ce débat sur le principe de souveraineté nationale, frein à l’humanisme et à la protection du vivant, la démocratie locale et participative pour faire vivre la transition dans les faits et les droits de la nature comme norme supérieure à revendiquer et à faire respecter par les États et les multinationales.
Puis je réponds à deux demandes de précisions de la part de David Cormand à 2:00:00
Émission Les lanceurs d’alerte de Claire Nouvian sur France Inter du 19 août 2017
avec Valérie Cabanes et Dominique Bourg
En 2014, 116 activistes écologistes étaient assassinés en défendant l’environnement. Des crimes non seulement restés impunis mais souvent commis avec la complicité des Etats.
Le seul tort de ces nouveaux défenseurs de la Terre ? Tenter d’empêcher des multinationales de détruire des écosystèmes remarquables et ancestraux, dans leur quête de nouveaux minerais ou de nouvelles ressources à exploiter.
Droits humains = droits de la nature
Une grande partie des victimes sont des peuples autochtones, comme les Indiens Guarani au Brésil, qui tentent en vain de s’opposer à la spoliation et la destruction de leur lieu de vie, d’histoire, d’enracinement…
Aujourd’hui, défendre les droits de l’homme revient bien souvent à défendre les droits de la Terre. Or, la nature n’a pas de droits. Les cours d’eau, les arbres, les océans, les animaux sont dénués de statut juridique. Pour défendre la biosphère, il faut nécessairement démontrer les impacts de la destruction ou de la pollution de l’environnement sur les humains.
by admin with no comments yetParu le 19 octobre 2017 chez Buchet-Chastel
avec en guise de préface : quelques lignes offertes par Edgar Morin, parce que les idées exprimées dans ce livre entrent en résonance avec celles qu’il défend.
4e de couverture: Grâce à des conditions climatiques favorables et à des milieux de vie fertiles et foisonnants de biodiversité, nous avons prospéré pendant des millénaires. Toutefois, depuis deux siècles nous avons malmené l’écosystème qui nous abrite et nous nourrit car nous évoluons comme hors-sol, isolés du reste du vivant, oubliant que nous sommes des êtres de nature.
Nous devons réapprendre, à l’image des peuples premiers, notre rôle de gardiens. Nous devons retrouver le chemin d’une cohabitation harmonieuse avec les arbres, les plantes et les animaux mais aussi entre nous. Cette démarche exige de baisser nos armes économiques, de questionner notre rapport à la propriété, de limiter la souveraineté des États, de repenser la démocratie. Elle impose enfin de reconnaître que la nature a le droit d’exister et de se régénérer. C’est ainsi que nous pourrons garantir aux générations futures le droit à vivre dans un environnement sain et pérenne.
Publié Le 19.05.2017
Par Marie-Béatrice Baudet avec Stéphanie Maupas à La Haye
L’article est réservé aux abonnés du Monde en ligne
Consultable en pdf ici : Le Monde 20170520_IDH
Extraits :
Un choc, ou plutôt un élan : voilà ce qu’il faudrait pour propulser sur la scène internationale le concept d’« écocide ». Une arme-clé qui permet de punir les atteintes les plus graves à l’environnement, celles qui détruisent de manière irréversible la planète. « Eco » vient du grec oïkos, la maison, et « cide » du latin caedere, tuer : se rendre coupable d’écocide, c’est brûler notre foyer, la Terre. Construit à partir des mots « écosystème » et « génocide », le néologisme dérange. Quant à la notion de crime d’écocide, elle va radicalement à l’encontre des intérêts de mafias qui ont fait du trafic des espèces sauvages et du bois une nouvelle source de revenus et de ceux des multinationales chimiques ou nucléaires.
(…) le néologisme « écocide » fait débat. En janvier 2013, dans un entretien au quotidien La Croix, l’essayiste Bernard Perret, auteur de Pour une raison écologique (Flammarion, 2011), craint ainsi « l’effet contre-productif d’un parallélisme qui n’a pas lieu d’être entre génocide et écocide, c’est-à-dire entre des êtres humains et des écosystèmes ».
Philippe Descola, titulaire de la chaire d’anthropologie de la nature au Collège de France, explique au contraire « ne pas être du tout gêné » par l’expression. « Regardez ce qui se passe en Amérique latine. Les compagnies pétrolières et minières polluent l’air et le sol, bouleversent les conditions de vie de populations entières obligées d’abandonner leurs terres. C’est un écocide ou, dans le cas précis que j’évoque, un ethnocide », nous dit-il. (…) « Que des espaces de vie deviennent des sujets de droit est une manière d’en finir avec l’anthropocentrisme et l’individualisme possessif. Je plaide tout à fait pour cela », insiste-t-il. Le philosophe Dominique Bourg, professeur à l’université de Lausanne, s’inscrit dans cette ligne de pensée. « Défendre le concept d’écocide est un combat primordial. Bien sûr, certains appellent encore à hiérarchiser entre homme et nature ; mais il ne faut plus les opposer car les écosystèmes sont les conditions d’existence de l’humanité », souligne-t-il.
(…)Deux approches dominent. La première, défendue par Laurent Neyret et son groupe de seize juristes internationaux, vise à cantonner le terme d’écocide aux crimes intentionnels.
(…)La seconde approche est plus radicale, et refuse d’épargner les multinationales dont les activités altèrent de manière grave les écosystèmes. « Il est vital et urgent de poser un cadre contraignant à l’exploitation industrielle. Regardez ce qui se passe au Canada avec l’exploitation des sables bitumineux, qui anéantissent les sols. Faut-il continuer à laisser faire ?, s’insurge ainsi la juriste Valérie Cabanes, porte-parole du mouvement citoyen « End Ecocide on Earth » (« Arrêtons l’écocide planétaire ») et auteure d’Un nouveau droit pour la Terre (Seuil, 2016). De même, peut-on laisser les constructeurs de véhicules diesel dépasser les normes de pollution recommandées et provoquer des dizaines de milliers de morts prématurées ? » A ses yeux, si utopiste cela soit-il, « l’intérêt de l’humanité doit primer sur l’intérêt national ».
Afin d’alerter l’opinion et de démontrer le bien-fondé de sa démarche, Valérie Cabanes participe à l’organisation de vrais-faux procès contre des entreprises. Les 15 et 16 octobre 2016, un tribunal citoyen s’est ainsi tenu à La Haye – ville où siège la CPI – afin de juger Monsanto, le géant de l’agrochimie (qui fut d’ailleurs, avec Dow Chemical, l’un des fabricants de l’agent orange). Auditions de témoins, études scientifiques versées au dossier : les cinq « juges » ont travaillé pour rendre, non pas un verdict, mais un avis consultatif.
Celui-ci a été rendu public le 18 avril, après six mois de délibérations, par la présidente belge de ce « tribunal », Françoise Tulkens, ancienne juge à la Cour européenne des droits de l’homme. L’entreprise ayant refusé de venir à La Haye en dépit de l’invitation du « tribunal », le « procès » n’a pas pu respecter la règle du contradictoire. Monsanto a été reconnu coupable de « pratiques portant atteinte à de nombreux droits humains ». Selon cet avis, la multinationale inflige de lourds dommages à l’environnement et bafoue, entre autres, les droits à la santé et à l’alimentation. Le document final, riche d’une soixantaine de pages, se conclut par une demande de reconnaissance de l’écocide dans le droit international.