MEDIAPART Article d’édition
Édition : Il était une fois le climat
Demandons une justice climatique pour tous !
28 août 2015 | Par Valérie Cabanes
La COP21 est une opportunité unique pour aborder des questions de justice environnementale et climatique et faire reconnaitre comme un droit inaliénable de l’humanité, le droit à un environnement sain.
Demain, pour des centaines de millions d’êtres humains, il peut conditionner son accès à l’eau, à la terre, à la santé, au respect de ses traditions, son droit à la vie tout simplement et son droit à la Paix. En effet, selon le Internal Displacement Monitoring Center, le nombre de personnes obligées de se déplacer à cause des conséquences du changement climatique devrait se situer entre 150 et 250 millions en 2050. Alors, comment garantir la sûreté de la planète pour préserver des conditions de vie acceptables pour les générations futures ?
Montrant la voie, les insulaires du Pacifique ont décidé de traîner les gros pollueurs en justice. Dans la « Déclaration du peuple pour une justice climatique, » publiée le 8 juin 2015 au Vanuatu et rédigée par des représentants communautaires du Vanuatu, des Philippines, des Fidji, des Kiribati, des îles Salomon et de Tuvalu, il est écrit « En tant que personnes qui sont le plus évidemment vulnérables face aux impacts du changement climatique, nous ne laisserons pas les gros pollueurs décider de notre sort, » « Nos droits et notre capacité à survivre ne doivent pas être dictés par la dépendance persistante à la combustion d’énergies fossiles. »
Quelques jours plus tard, un tribunal de La Haye a donné raison à la plainte de 886 citoyens contre leur gouvernement. Les plaignants avaient demandé aux juges de qualifier un réchauffement climatique de plus de 2 °C de « violation des droits humains ». Dans son jugement, le tribunal a estimé que l’Etat néerlandais devait réduire ses émissions afin de respecter « la norme de 25 à 40 % que les scientifiques et les politiques internationales estiment nécessaire pour les pays industrialisés », « en raison de son devoir de vigilance pour protéger et améliorer l’environnement ».
Face à l’urgence climatique, des actions citoyennes fortes voient le jour un peu partout et il semble nécessaire à chacun de remettre en question nos systèmes de valeurs et nos modes de gouvernance. En effet le cadre juridique international actuel ne possède pas les outils nécessaires pour encadrer les activités industrielles dangereuses, protéger les écosystèmes et la santé humaine. Ce sujet s’inscrit dans des débats de fond qui touchent à l’évolution du droit international de l’environnement, mais aussi aux droits économiques, à la sécurité internationale, aux questions de biodiversité et de façon plus globale aux droits de la nature et des générations futures.
Nous devons être solidaires face aux conséquences du changement climatique car nous sommes tous à notre échelle responsables d’émissions de gaz à effet-de-serre. C’est pourquoi la communauté internationale doit accepter de se soumettre à un principe de responsabilité partagée qui doit être arbitré par une justice internationale en cas d’échec des négociations. Nous devons aussi être capables de désigner ceux qui ne prennent pas la mesure de leurs actes, en particulier les dirigeants de gouvernements ou de multinationales. N’est-ce pas ceux là-même qui sabotent les négociations sur le climat ou œuvrent farouchement pour que de nouveaux accords de libre échange et d’investissement les protègent de changements défavorables dans les législations environnementales et donc de pertes de profits construits majoritairement sur l’exploitation des énergies fossiles ?.
Il est temps de lever l’impunité de ces dirigeants dans les cas les plus graves de destruction environnementale en reconnaissant le caractère criminel de certaines pratiques à l’origine d’un écocide. “Eco” vient du grec ancien “maison”. “Cidere” vient du latin : “tuer”. L’écocide est donc le fait de “détruire notre maison”, en l’occurrence la seule que nous ayons: la Terre ! Le mouvement citoyen End Ecocide on Earth propose donc que l’écocide soit caractérisé en droit pénal international comme le fait de détruire partiellement ou totalement des services écosystémiques et des espaces ou espèces d’intérêt commun pour le vivant – appelés communaux globaux – comme l’atmosphère, l’extra-atmosphère, les eaux internationales, les pôles, les rivières et fleuves transfrontaliers, les espèces migratoires, les cycles biogéochimiques ou les patrimoines génétiques; ce qui aurait pour résultat de menacer les conditions de vie sur Terre pour les générations actuelles et futures.
End Ecocide on Earth demande que le crime d’écocide soit reconnu et poursuivi devant la Cour Pénale Internationale (CPI) au même titre que le crime contre l’humanité, le crime de génocide, le crime de guerre et le crime d’agression. Pour l’instant s’il existe une définition du dommage environnemental en temps de guerre (l’article 8.2 du Statut de la CPI punit les « dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel»), rien n’est prévu en temps de paix pour sanctionner les personnes coupables de ces crimes. Pour cela, des experts réunis par End Ecocide on Earth ont préparé un projet de 17 amendements au Statut de cette juridiction internationale afin d’ajouter à la liste des crimes internationaux les plus graves, le crime d’écocide. Le texte est à l’étude par différents états du monde, en particulier des pays du Sud qui sont déjà victimes du changement climatique et dont les territoires sont sur-exploités par des multinationales. Il leur est demandé de porter symboliquement le texte auprès de M. Ban Ki-Moon lors de la COP21 en décembre 2015 à Paris. Il suffit en effet d’un seul Etat pour lancer un processus de révision du Statut de la CPI. Il doit transmettre sa demande au Secrétaire Général des Nations Unies qui aura à charge de convoquer l’Assemblée des Etats parties pour en délibérer.
Le crime d’écocide permettrait d’imposer le « principe de précaution » posé par l’article 15 de la Déclaration de Rio comme une norme universelle. L’article demande que « en cas de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement. ». Ce principe de précaution donnerait au juge international un outil précieux pour contraindre à stopper des activités industrielles responsables du crime climatique en cours. Il pourrait émettre des ordres de suspension de projets fortement émetteurs de gaz à effet de serre, tels que les projets de forage ou d’extraction de combustibles fossiles, ou reconnus comme perturbateurs du cycle du carbone ou du méthane, comme des actions de déforestation massive ou des méthodes d’agriculture intensive. Les citoyens pourraient alors saisir le procureur international dès les résultats d’une étude d’impact environnemental en phase de pré-projet industriel si un risque d’écocide était suspecté. A charge pour les gros pollueurs de se conformer au droit afin d’éviter ce risque.
La société civile mondiale est invitée à soutenir la proposition d’End Ecocide on Earth sur son site web afin d’encourager les Etats, qui pourraient être intimidés par quelques grandes puissances du monde, à porter et à adopter le texte permettant d’amender le Statut de la CPI et donc de faire reconnaître le crime international d’écocide. C’est un pari réalisable car la CPI est indépendante de l’ONU et le droit de véto n’y est pas reconnu.
Valérie Cabanes
Juriste en Droit international
Porte-Parole d’End Ecocide on Earth
Retrouvez ma contribution » Crime climatique et écocide: réformer le droit pénal international » dans le livre collectif « Crime climatique Stop ! »paru le 27/08/2015 – collection Anthropocène – Le Seuil – 320 pages –
Signez L’appel de la société civile pour laisser les fossiles dans le sol.
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