Il faut en effet élargir le débat constitutionnel à l’ensemble des paramètres environnementaux – pertes de biodiversité, acidification des océans, aérosols atmosphériques, pollution chimique, etc. –, et pas seulement le climat.
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Les signataires de cette tribune sont : Dominique Bourg (philosophe et président du conseil scientifique la Fondation pour la nature et l’homme/FNH), Valérie Cabanes (juriste de droit international), Marie-Anne Cohendet (constitutionnaliste et membre du conseil scientifique de la FNH), Bastien François (constitutionnaliste), Jean Jouzel (climatologue et membre du conseil scientifique de la FNH), Valérie Masson-Delmotte (climatologue), Marie-Antoinette Mélières (climatologue et membre du conseil scientifique de la FNH).
Tribune. Emmanuel Macron souhaite-t-il devenir « le leader de la transition écologique » sur la scène internationale ? Si telle est sa volonté, il va falloir faire de la France un modèle et passer à l’action. Le droit est alors un outil incontournable. Vu l’état de la planète qui continue de se dégrader à un rythme inquiétant, comme le rappelaient encore récemment 15 364 scientifiques, issus de 184 pays dans une tribune (« Il sera bientôt trop tard pour dévier de notre trajectoire vouée à l’échec, et le temps presse », Le Monde, 14 novembre), on ne pourra se passer d’une évolution du droit. Pour accélérer la transition écologique, il conviendra de modifier la Constitution et la façon de produire les lois : traiter les problèmes de façon cloisonnée et en conséquence concevoir les lois isolément les unes des autres, est un gage d’inefficacité environnementale.
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Prétendre protéger le climat sans se soucier du marché de l’énergie, de l’urbanisme, des subventions aux énergies fossiles, etc., est le plus sûr moyen de ne pas atteindre le résultat qu’on s’est fixé. La nature est systémique. Ni l’organisation de l’économie, ni la production des lois ne peuvent l’ignorer impunément. En raison des ambitions du président de la République, il est donc permis d’espérer que la révision constitutionnelle prévue pour 2018 permettra un renforcement opératoire de la protection de l’environnement, et au premier chef du climat.
Mais sous quelle forme renforcer la protection de l’environnement, et notamment du climat, dans la Constitution ? Faut-il ne parler que du climat ? Mais quid alors du caractère systémique des difficultés ? En outre, ce serait assez mal avisé, l’année d’une importante conférence mondiale sur la biodiversité (COP), de ne pas la prendre en compte.
L’introduction du climat seul dans la Constitution pourrait en outre nourrir des effets pervers. Par exemple, c’est au nom du climat, et du climat considéré isolément, que la pêche électrique avait été autorisée de façon dérogatoire aux Pays-Bas, alors qu’elle est interdite dans le monde entier. L’argument était que les chaluts électriques, plus légers et ne raclant pas les fonds, exigent une consommation moindre de carburant, et sont ainsi plus favorables au climat. Cette pratique n’en est pas moins catastrophique pour la biodiversité marine, déjà grandement fragilisée ; raison pour laquelle la Chine l’a prohibée en 2000. Le parlement européen a fini par l’interdire totalement le 16 janvier.
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Ne considérer que la baisse des rejets de gaz à effet de serre, à l’exclusion des autres dimensions environnementales, pourrait déboucher sur des options très néfastes pour l’environnement. Cela équivaudrait à ne pas prendre en compte les implications d’éventuelles stratégies d’action en matière de santé publique ou de biodiversité. Ce serait susceptible d’encourager, autre exemple, la motorisation diesel, moins émettrice de gaz à effet de serre que les moteurs à essence, alors même que l’utilisation du diesel a des conséquences environnementales et sanitaires délétères (la pollution de l’air aux particules fines est responsable de plusieurs dizaines de milliers de morts chaque année en France).
Le même raisonnement pourrait valoir pour l’énergie nucléaire ou la géo-ingénierie. D’ailleurs les prochains rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) auront une approche beaucoup plus intégrée que le seul angle « climat » et considéreront, dans leur cadrage, les perspectives des trois grandes conventions (climat, biodiversité et désertification) ainsi que les différentes dimensions du développement durable et des objectifs 2030.
D’où, on le constate, l’importance de bien faire apparaître le climat comme un des paramètres – même s’il est essentiel – d’un environnement sain et équilibré. Les autres paramètres sont tout aussi importants, ils sont énumérés par la littérature scientifique internationale par l’expression « limites planétaires ».
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Il s’agit, outre le changement climatique, des pertes de biodiversité, des perturbations globales du cycle de l’azote et du phosphore, de l’usage des sols, de l’acidification des océans, de la déplétion de la couche d’ozone, des aérosols atmosphériques, de l’usage de l’eau douce et de la pollution chimique.
Ne respecter que le seul paramètre du climat, au détriment des autres, ne peut que conduire à s’éloigner de l’objectif souhaité. Cela tient au caractère systémique de la nature. Le propre des systèmes naturels est en effet l’interdépendance de leurs composants. La chose est connue depuis des lustres même si on n’en a tenu guère compte politiquement à ce jour.
On ne saurait agir sur un composant sans prendre en considération les effets induits sur les autres. L’ONU s’est d’ailleurs récemment inquiétée des effets sanitaires de certaines actions climatiques. Introduire l’ignorance de l’interdépendance des paramètres environnementaux en n’en constitutionnalisant qu’un seul, ne constituerait pas une avancée, mais un lourd recul environnemental.
La disparition des mangroves ne peut par exemple que rendre plus destructrice la montée du niveau des mers. Plus généralement, une planète avec des écosystèmes équilibrés résistera d’autant mieux au changement climatique, et des écosystèmes en berne ne peuvent à l’inverse qu’accroître les effets délétères du changement climatique… On ne saurait agir en faveur du climat en détruisant la biodiversité, et vice-versa.
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Que faire alors ? Il est impératif d’adopter la vision systémique et interdépendante de l’écologie en hissant au niveau des normes constitutionnelles l’ensemble des paramètres d’un environnement équilibré. Il n’est pas souhaitable de réviser la Charte de l’environnement, qui fait partie du préambule de la Constitution et qui fait l’objet d’une application très progressive et modérée. Il serait beaucoup plus simple, plus clair et plus significatif de compléter l’article premier de notre Constitution, qui évoque les grands principes de notre République.
Nous pourrions ainsi imaginer l’ajout suivant à l’actuel article 1 de la Constitution : « La République veille à un usage économe et équitable des ressources. Elle garantit aux générations présentes et futures un environnement sain et sûr en veillant au respect des limites planétaires, à savoir les grands équilibres interdépendants qui conditionnent l’habitabilité de la Terre. »
Un tel article contraindrait à éclairer les grands projets de loi d’études d’impact plus solides et efficaces et conduirait en particulier le législateur à enfin prendre en compte le caractère systémique des phénomènes naturels.
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