Le Temps – Un article de Eric Tariant
Publié vendredi 23 février 2018
repris dans Le Devoir le 5 mars 2018
La sauvegarde de l’habitabilité de la terre viendra-t-elle d’un nouveau cadre juridique? Depuis quelques années, la reconnaissance des droits de la nature permet à des fleuves, à des montagnes et autres glaciers de plaider eux-mêmes leur cause par l’intermédiaire de leurs représentants.
«L’eau est sacrée, l’eau est la vie et doit être protégée pour tous». Ce slogan, les Sioux de Standing Rock, dans le Dakota du Nord, n’ont cessé de le marteler pendant les longs mois, d’août 2016 à fin février 2017, pendant lesquels ils se sont opposés au passage de l’oléoduc Dakota Access sur leurs terres sacrées pour protéger leur eau potable.
Après le démantèlement du camp par le président Donald Trump en mars 2017, deux ONG représentant les intérêts des communautés menacées ont porté plainte devant des tribunaux fédéraux pour ordonner le respect des lois environnementales. Aux Etats-Unis comme ailleurs dans le monde, les peuples autochtones ont souvent été à la pointe de la mobilisation contre l’extractivisme et ses pollutions environnementales, les premiers à s’opposer à des infrastructures pétrolières et autres projets miniers ou hydroélectriques qui fragilisent les écosystèmes.
Les premiers aussi à lutter pour que des droits soient accordés aux fleuves, aux arbres et autres montagnes pour mieux les protéger. Et l’année 2017 restera sans doute dans les mémoires comme celle de la montée en puissance des droits de la nature. Des exemples? En mars, le parlement néo-zélandais a reconnu, dans une loi, la rivière Whanganui comme une entité vivante et indivisible. Des gardiens – un représentant de l’Etat et le peuple maori Iwi – ont été nommés pour défendre ses intérêts et la représenter en justice.
En mai, en Colombie, la Cour constitutionnelle a décidé de donner des droits à un cours d’eau, le fleuve Atrato. En septembre, le fleuve Colorado, aux Etats-Unis, a saisi lui-même la justice de l’Etat pour demander à être reconnu comme personnalité juridique. En décembre dernier, en Nouvelle-Zélande, le mont Taranaki, considéré par les populations autochtones comme un ancêtre, un membre de la famille, s’est vu, à son tour, reconnaître ces mêmes droits. C’est l’aboutissement «d’une bataille de 170 ans menée par le peuple maori», insiste, sur le site naturerights.com, Marine Calmet, juriste française spécialisée dans le droit de l’environnement
« Nos sociétés prétendument évoluées doivent réapprendre, en s’inspirant d’eux, à vivre en paix avec le vivant, à ne plus vouloir le dominer »
En avril 2017, c’est l’Inde qui a, à son tour, défrayé la chronique. La Haute Cour de l’Etat d’Uttarakhand a reconnu le Gange ainsi que son affluent, la rivière Yamuna, comme des personnes vivantes. Il en, va de même, souligne-t-elle, de tous les écosystèmes himalayens situés sur son territoire: glaciers, rivières, ruisseaux, lacs, sources, cascades, prairies, vallées et jungles. La Cour a pris soin de nommer comme «parents» de ces écosystèmes des personnalités locales chargées d’assurer leur protection. «Les peuples premiers savent ce que nous avons longtemps oublié: la terre nous est vitale et son destin préfigure le nôtre, souligne Valérie Cabanes, juriste en droit international spécialisée dans les droits de l’homme. Leur sagesse leur a permis de vivre pendant des millénaires en harmonie avec la nature. Nos sociétés prétendument évoluées doivent réapprendre, en s’inspirant d’eux, à vivre en paix avec le vivant, à ne plus vouloir le dominer», poursuit cette Française qui œuvre pour une reconnaissance universelle des droits de la nature et du crime d’écocide.
Que faire quand la déforestation s’accélère, que les glaciers fondent à un rythme beaucoup plus soutenu que ne le pensaient jusqu’alors les scientifiques et que les océans se réchauffent à vitesse grand V? Quand les droits humains fondamentaux – droit à l’eau, à l’alimentation, à la santé – risquent de ne plus être garantis et que l’instinct de survie collectif de l’espèce humaine tarde à se réveiller? Ces questions, le juriste et professeur de droit américain Christopher Stone, se les étaient posées il y a plus de quarante ans.
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