Pourquoi les énergies fossiles menacent la sûreté de la planète ? Que peut-on faire pour freiner l'écocide global en cours.Intervention de Valérie Cabanes – Porte Parole d'End Ecocide on Earth – au Positive Economy Forum 2015
En 2008, un rapport de l’Union européenne alertait sur les risques de déstabilisation politique dans les régions du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord en lien avec une sécheresse qui, de fait, a démarré en 2007 et s’est prolongée jusqu’en 2010 . De nombreux territoires ont manqué d’eau et l’agriculture, devenue impossible, à pousser à l’exode de très nombreuses populations, dont au moins 1 million de syriens qui ont trouvé refuge dans les banlieues des grandes villes, déjà bien occupées par des réfugiés de la guerre en Irak.
Les études, en particulier américaines, menées en Syrie sur ce lien entre sécheresse et conflit ont aussi démontré que l’insurrection a essentiellement commencé dans ces zones où les déplacés recevaient très peu d’aide de la part du régime de Bachar Al-Assad.
Depuis, le conflit syrien a fait au moins 200 000 morts et 7,6 millions de déplacés internes. Plus quatre millions qui sont aujourd’hui réfugiés dans 5 pays limitrophes de la Syrie. On ne comptait en 2014 selon le HCR que 4% de réfugiés syriens en Europe… en augmentation cette année certes, mais dans une proportion marginale. Nous voyons pourtant comment nous, pays européens bien plus aisés, nous vivons cette réalité comme un tremblement de terre, comment la Hongrie déploie une énergie du guerre face aux familles arrivées à ses portes..
Il va pourtant falloir nous y habituer. Si l’on ne compte que les personnes qui seront amenées à se déplacer en lien avec le changement climatique, et son lot de sécheresses ou à l’inverse d’inondations, voire de submersions ; on estime à 150 voire 250 millions de personnes qui devront fuir leur lieu de vie d’ici à 2050, dont 60 millions sur la seule Afrique sub-saharienne d’ici à 2020… Je ne compte pas, comme en Syrie, l’effet domino que cela aura sur les pouvoirs en place dans ces pays…
Nous ne pouvons plus nous permettre de ne réagir que quand des crises surviennent . Il faut en comprendre la source. Et surtout il nous faut réfléchir et proposer dès aujourd’hui les moyens d’agir à la source.
De quelle source parlons-nous ? du réchauffement climatique ?? non celui-ci est une conséquence. Car il est enfin admis que ce réchauffement mais aussi toutes les autres limites planétaires que nous avons franchies ou que nous sommes sur le point de franchir : érosion de la biodiversité, déforestation massive, pollution des eaux et des sols, acidification des océans sont des conséquences directes de nos modes de consommation et de production depuis l’avènement de l’ère industrielle.
En 150 ans, en misant son développement et son confort sur les énergies fossiles et l’exploitation effrénée des ressources terrestres, l’homme a bouleversé l’écosystème terrestre. Et nos choix menacent aujourd’hui la Paix et la sécurité humaine.
Pourtant à l’approche de la COP21, et en analysant les engagements déjà mis sur la table, on réalise que nos gouvernants sont incapables de faire des propositions où l’intérêt global – à savoir la sûreté de la planète – primerait sur l’intérêt national. Au 8 septembre, le diagnostic est pessimiste. Les 58 contributions présentées, représentant à elles seules, près de 60% des émissions de gaz à effet de serre conduiraient déjà à un réchauffement supérieur à 3°C (voir 4°C) d’ici la fin du siècle. Pour se faire une idée, +4° c’est une situation connue par la Terre il y a 125 000 ans et à cette époque les océans étaient plus haut de 6 mètres.
Pourquoi nos Etats ne s’engagent pas plus avant ? parce que les intérêts de nos gouvernants sont intimement liés aux intérêts du secteur privé, en particulier à toutes les entreprises multinationales qui financent les campagnes politiques et où l’Etat est parfois lui-même actionnaire. Cette collusion des intérêts permet aux 90 entités ( multinationales, certains Etats) qui produisent 2/3 des émissions de gaz à effet de serre de dicter des normes qui leur sont favorables dans un souci de profits.
Pourtant , si l’on veut limiter le réchauffement climatique, il faudra bien remettre en question le modèle économique dans lequel nous nous sommes engagés car celui-ci s’est construit sur l’usage des combustibles fossiles. A-t-on vraiment amorcé la transition
énergétique qui s’impose. On peut en douter. En 2012, 775 milliards de dollars ont été attribués à l’exploration, la production et l’utilisation des combustibles fossiles contre 101 pour les énergies renouvelables. Les technologies de demain existent , elles ne sont juste pas promues.
Si l’on ne veut pas dépasser le seuil des +2°, il a été calculé que 80% des réserves fossiles connues devaient absolument rester sous terre, inexploitées à jamais. C’est la seule vraie solution concernant le changement climatique et cela aura de plus des effets bénéfiques directement sur l’état de nos sols, de nos
rivières, de nos océans, de nos corps totalement pollués par la pétrochimie en général.
C’est pourquoi aujourd’hui un appel solennel est lancé par la société civile pour que le pétrole, le gaz, le charbon reste sous terre. Plus de 200 personnalités ont déjà signé cet appel relayé par 350.org et des milliers de citoyens du monde le signent en ce moment en ligne. Nous demandons aussi de ne pas nous proposer de fausses solutions, tout aussi dangereuses pour l’humanité et le vivant en général : nucléaire, biotechnologies, marché carbone, géo-ingénierie…
Agir de la sorte, au nom du profit et de la croissance, au regard des conséquences dramatiques que cela va engendrer dans les années à venir, nous semble en effet criminel. Au nom des millions de victimes de la montée des eaux, de pénurie alimentaire, de destruction de leurs moyens d’existence, nous demandons à ceux qui nous dirigent de prendre la mesure de leurs responsabilités vis-à-vis des générations actuelles et des générations futures.
C’est d’ailleurs une lacune du droit international aujourd’hui. En effet, comment garantissons-nous aux générations à venir le droit de vivre dignement dans un environnement sain ? Des déclarations, celle de Stockholm, celle de Rio, celle de Vienne en appellent déjà à reconnaître notre droit à un environnement sain et notre devoir de le léguer aux générations suivantes. Mais aucune sanction n’est prévue pour ceux qui menacent ce droit, il n’a même pas été élevé au rang de droit fondamental de l’homme. Et pourtant il en va de la pérennité des conditions de la vie sur terre. N’est ce pas étonnant à l’heure où tous les signaux sont au rouge ? On ne peut plus dire qu’on ne savait pas..
C’est pourquoi le mouvement citoyen End Ecocide on Earth – qui signifie « En finir avec l’écocide planétaire » – s’est créé il y a 3 ans. Pourquoi avoir choisi ce mot ? Parce qu’il exprime l’urgente réalité: “Eco” vient du grec ancien Oikos signifiant “maison”. “Cidere” vient du latin : “tuer”. L’écocide est le fait de détruire notre maison, la seule que nous ayons: la Terre.
Pour nous, détruire l’environnement global, menacer la sûreté de la planète est une atteinte aux droits fondamentaux de l’homme et devrait être considéré comme un des crimes internationaux les plus graves, à l’image du génocide ou du crime contre l’humanité. Nous devons ainsi reconnaître le vivant comme un sujet de droit, ceci afin de protéger les conditions de vie des générations actuelles et futures.
Il faut donc donner les moyens à la cour pénale internationale de prévenir des dégradations environnementales majeures en imposant des mesures conservatoires et en suspendant des projets industriels dangereux pour la sûreté de la planète : forages dans des communaux globaux tel que l’Antarctique, déforestations massives, sites industriels fortement émetteurs de gaz à effet de serre, mais aussi sites nucléaires. Il faut que le principe de précaution, posé par l’article 15 de la déclaration de Rio, soit appliqué à l’échelle planétaire.
Certains pays montrent la voie. En juin dernier, un tribunal de La Haye a donné raison à la plainte de 886 citoyens contre leur gouvernement. Les plaignants avaient demandé aux juges de qualifier un réchauffement climatique de plus de 2 °C de « violation des droits humains ». Dans son jugement, le tribunal a estimé que l’État néerlandais devait réduire ses émissions afin de respecter « la norme de 25 à 40 % que les scientifiques et les politiques internationales estiment nécessaire pour les pays industrialisés », « en raison de son devoir de vigilance pour protéger et améliorer l’environnement ».
Et il faut aller plus loin . Nous demandons en effet que ceux qui détiennent notre destin commun en mains, en particulier ceux qui dirigent le secteur pétrolier, celui de l’agro-industrie, du nucléaire, ceux qui subventionnent et spéculent sur ces marchés soient encadrés par le droit pénal international. Il faut qu’ils puissent répondre de leurs décisions quand celles-ci impactent la survie de populations entières en détruisant leurs conditions d’existence, même si cela permet d’offrir plus de confort à quelques-uns d’entre nous. C’est tout simplement immoral et suicidaire à long-terme.
Quand un dirigeant d’entreprise – pour ne pas la nommer, Tepco au Japon – décide par souci d’économies budgétaires de ne construire autour du réacteur de Fukushima qu’un mur de 10m au lieu des 13 recommandés, il doit répondre de sa négligence, qui eu égard aux conséquences sur l’environnement global et à notre santé à tous, est criminelle.
Ainsi les experts d’End Ecocide on Earth ont travaillé cette année sur une définition claire du crime d’écocide et sur ses champs et mesures d’application. Nous demandons maintenant aux États parties à la CPI de l’élever au rang des crimes internationaux les plus graves, afin que soit posé dans le droit le lien intrinsèque qui unit l’homme et la nature, car préserver le vivant sur terre, c’est protéger l’avenir de l’homme.
La société civile est, là aussi, invitée à soutenir cette proposition via notre site internet.
Nous sommes à la croisée des chemins. Nous ne voulons pas nous retrouver contraint.e.s à survivre dans un monde devenu à peine vivable. Des îles du Pacifique Sud à la Louisiane, des Maldives au Sahel, du Groenland aux Alpes, la vie quotidienne de millions d’entre nous est déjà perturbée par les conséquences du changement climatique. Par l’acidification des océans, par la submersion des îles du Pacifique Sud, par le déracinement de réfugiés climatiques en Afrique et dans le sous-continent indien, par la recrudescence des tempêtes et ouragans, l’écocide en cours violente l’ensemble des êtres vivants, des écosystèmes et des sociétés, menaçant les droits des générations futures. Ces violences climatiques nous frappent inégalement : les communautés paysannes et indigènes, les pauvres du Sud comme du Nord sont les plus affectés par les conséquences du dérèglement climatique.
Nous ne nous faisons pas d’illusions. Depuis plus de vingt ans, les gouvernements négocient mais les émissions de gaz à effet de serre n’ont pas baissé et le climat poursuit sa dérive. Alors que les constats de la communauté scientifique se font plus alarmants, les forces de blocage et de paralysie l’emportent.
Ce n’est pas une surprise. Des décennies de libéralisation commerciale et financière ont affaibli la capacité des Etats à faire face à la crise climatique. Partout, des forces puissantes — entreprises du secteur fossile, multinationales de l’agro-business, institutions financières, économistes dogmatiques, climatosceptiques et climatonégationnistes, décideurs politiques prisonniers de ces lobbies — font barrage et promeuvent de fausses solutions. 90 entreprises sont à l’origine des deux tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre. De véritables réponses au changement climatique nuiraient à leurs intérêts et à leur pouvoir, remettraient en cause l’idéologie du libre-échange, et menaceraient les structures et les subventions qui les soutiennent.
Nous savons que les multinationales et les gouvernements n’abandonneront pas aisément les profits qu’ils tirent de l’extraction des réserves de charbon, de gaz et de pétrole ou de l’agriculture industrielle globalisée gourmande en énergie fossile. Pour continuer à agir, penser, aimer, prendre soin, créer, produire, contempler, lutter, nous devons donc les y contraindre. Pour nous épanouir en tant que sociétés, individus et citoyen.ne.s nous devons tout.e.s agir pour tout changer. Notre humanité commune et la Terre le demandent.
Nous gardons confiance en notre capacité à stopper les crimes climatiques. Par le passé, des femmes et des hommes déterminé.e.s ont mis fin aux crimes de l’esclavage, du totalitarisme, du colonialisme ou de l’apartheid. Elles et ils ont fait le choix de combattre pour la justice et l’égalité et savaient que personne ne se battrait à leur place. Le changement climatique est un enjeu comparable et nous préparons une insurrection similaire.
Nous travaillons à tout changer. Nous pouvons ouvrir les chemins vers un futur vivable. Notre pouvoir d’agir est souvent plus important que nous ne l’imaginons.. A travers le monde, nous luttons contre les véritables moteurs de la crise climatique, défendons les territoires, réduisons les émissions, organisons la résilience, développons l’autonomie alimentaire par l’agro-écologie paysanne, etc.
A l’approche de la conférence de l’ONU sur le climat à Paris-Le Bourget, nous affirmons notre détermination à laisser les énergies fossiles dans le sol. C’est la seule issue.
Concrètement, les gouvernements doivent mettre un terme aux subventions qu’ils versent à l’industrie fossile, et geler leur extraction en renonçant à exploiter 80% de toutes les réserves de combustibles fossiles.
Nous savons que cela implique un changement historique majeur. Nous n’attendrons pas que les Etats agissent. L’esclavage et l’apartheid n’ont pas disparu parce que des Etats ont décidé de les abolir, mais par des mobilisations massives qui ne leur ont pas laissé le choix.
L’issue est incertaine. Nous avons toutefois une occasion unique de renouveler la démocratie, de démanteler le pouvoir hégémonique des multinationales et de transformer radicalement nos modes de production et de consommation. Tourner la page des fossiles est une étape décisive vers la société juste et soutenable dont nous avons besoin.
Nous ne gâcherons pas cette chance, à Paris comme ailleurs, aujourd’hui comme demain. SIGNEZ L’APPEL