En se basant sur des données non encore publiées par le GIEC, Christian Aid estime que plus d’un milliard de personnes vont devoir migrer d’ici 2050 à cause des conséquences multiformes du changement climatique : une personne sur 7 sur Terre ! La seconde urgence découle de la première. La COP doit aboutir à un accord contraignant, sans quoi la communauté internationale se rend complice de violations massives de droits humains.
Face à l’urgence climatique, quel pays vous semble avant-gardiste et quel pays vous parait en danger ?
Être avant-gardiste, c’est imaginer des solutions avant tout le monde. Cela veut dire que vous vous trouvez confronté a des problèmes auxquels vous avez peut être contribué. Je préférerais parler d’un pays qui a délibérément éviter de choisir de suivre le modèle dominant et qui aujourd’hui peut s’honorer d’être le pays le plus écologique au monde. Il s’agit du Bhoutan. Ce pays a centré son développement économique sur deux axes : une nature préservée et le bien-être comme principal indicateur de réussite. Le pays est densément boisé (70% du territoire) et contribue ainsi à stocker du carbone plutôt qu’à en émettre. De plus, dans sa contribution climatique rendue en septembre, le Bhoutan affiche son souhait de ne produire que de l’énergie propre grâce à l’hydro-électricité mais aussi en diversifiant son « approvisionnement énergétique à travers la promotion des énergies renouvelables (solaire, éolienne, biomasse)”. Ses terres agricoles représentent 3 % de son territoire mais sont cultivées par deux tiers de la population et de façon majoritairement biologique. Ainsi la grande majorité de la population est en auto-suffisance alimentaire, mange et produit sainement. Le Bhoutan espère devenir le premier pays 100 % bio du monde.
Le seul concurrent du Bhoutan pour devenir le premier pays « 100 % bio » est la petite île autogérée de Niue, dans le Pacifique sud, peuplée de 1 300 habitants. L’île voudrait atteindre son objectif à l’horizon 2015-2020. Mais encore faudrait-il que cette île survive à la montée des eaux. Avec un réchauffement de + 1,5°, la plupart des états insulaires vont être submergés d’ici 2050. D’ores et déjà fixer à + 2 degrés la barre est criminel vis-à-vis des populations des Maldives ou du Pacifique. Les insulaires du Pacifique ont d’ailleurs décidé de traîner les gros pollueurs en justice, ils l’ont annoncé dans une déclaration à Vanuatu le 8 juin 2015 : la “ Déclaration du peuple pour une justice climatique” rédigée par des représentants communautaires du Vanuatu, des Philippines, des Fidji, des Kiribati, des îles Salomon et de Tuvalu. Ils nous disent clairement que leurs droits et leur “capacité à survivre ne doivent pas être dictés par la dépendance persistante à la combustion d’énergies fossiles”.
Quels sont les choix citoyens qui permettraient de sauver la planète ?
90 entités ( multinationales, certains états) sont responsables de 2/3 des émissions de gaz à effet de serre en promouvant l’usage du pétrole, du gaz, du charbon, en investissant dans la pétrochimie, l’agriculture et l’élevage industriels, en s’appuyant sur la grande distribution et le secteur de la finance. Dix millions de dollars par minute sont consacrés par les États du monde à soutenir les entreprises extractrices d’énergies fossiles, soit 5 300 milliards de dollars par an en incluant les externalités c’est-à-dire les coûts que cette industrie fossile fait peser sur nos sociétés : soins apportés aux victimes de pollution atmosphérique, perte de revenus en lien avec une santé fragilisée ou une mort prématurée, etc… Ceci alors même que nous savons qu’il faudrait laisser 80% des réserves de combustibles fossiles connues sous terre afin de limiter le réchauffement à 2 degrés.
Si nos États continuent à subventionner cette industrie, c’est à nous, consommateurs, de la boycotter. C’est le moins que l’on puisse faire en attendant de mettre aux commandes des responsables politiques soucieux de notre avenir commun, plutôt que du portefeuille des actionnaires du CAC 40. Ainsi nous devons privilégier des modes de transport collectifs ou propres, manger des produits non traités et produits localement, diminuer notre consommation de viande et de poisson en bannissant les produits animaux industriels, éviter l’usage du plastique sous ses multiples formes : sacs, bouteilles, emballages, jouets, gadgets.., changer de fournisseur d’énergies en privilégiant les énergies renouvelables, mieux isoler son logement avec des matériaux naturels comme le coton, la plume ou la paille. C’est une première étape. La seconde est de diminuer progressivement notre dépendance à la nouveauté, notre conditionnement au progrès, notre soif de posséder. Nous devons nous sevrer de la croyance que posséder nous sécurise et nous rend plus heureux. La France est un pays où la population a un niveau de vie matériel particulièrement élevé mais c’est aussi celle qui consomme le plus d’anxiolytiques. Sortir du dogme de la croissance et du mythe émancipateur de l’individualisme, se reconnecter à l’autre et à la nature, devrait progressivement nous permettre de ne plus alimenter un système suicidaire et de nous préparer à construire celui d’après.
Quel peut-être l’engagement féminin pour le climat ?
La femme a un rôle primordial dans cette quête de décroissance et de simplicité volontaire puisqu’elle gère encore souvent les achats et les menus du ménage. Elle a aussi un rôle d’éducatrice par l’exemple qu’elle donne à ses enfants. Elle doit être aussi capable de leur démontrer qu’elle se soucie du monde qui les environne, qu’elle soutient des actions citoyennes porteuses de solutions, qu’elle vote afin de faire entendre sa voix, qu’elle s’informe, puis analyse et discute de l’actualité afin qu’à leur tour ses enfants aient le goût de comprendre et se forge un esprit critique et un désir d’agir.
Mais j’ajouterais que la femme a un rôle plus important encore à jouer. En porteuse et donneuse de vie, elle a accès a une porte inestimable : celle de l’amour inconditionnel. Notre monde a besoin d’amour, a besoin d’empathie pour retrouver le sens du partage et de l’inacceptable. Notre monde a besoin de femmes qui se soucient de l’avenir des générations futures, qui nous rappellent de respecter la vie sous toutes ses formes, qui nous ramènent a notre relation ombilicale avec mère-nature, qui utilisent des outils de paix plutôt que des armes de guerre.
Quelle est la place du droit dans la lutte contre le réchauffement climatique ?
Le droit est justement un outil de paix et un des rares outils qui puissent juguler la collusion des intérêts existant entre la sphère politique et le monde économique. La démocratie est mise à mal, notre voix de citoyen ne compte plus vraiment face aux intérêts qui lient nos dirigeants et les grands patrons. Ainsi le droit, en particulier le droit international a fortiori pénal doit être renforcé, réadapté au contexte actuel. L’ONU tente depuis plusieurs décennies d’instaurer un droit à un environnement sain. Ce droit est revendiqué depuis la Conférence de Stockholm de 1972, clairement nommé dans la Déclaration de Rio de 1992 qui indique dans son article 1er le fait que les êtres humains ont « droit à une vie saine et productive en harmonie avec la nature » et complété par la Déclaration de Vienne de 1993 qui l’associe au droit au développement et aux droits des générations futures.
Mais notre droit à un environnement sain n’a pas encore été reconnu comme un droit fondamental et il menace les intérêts des multinationales, tout comme les négociations sur le climat. Ces dernières œuvrent farouchement pour que de nouveaux accords de libre échange et d’investissement ainsi que les politiques de l’OMC, du FMI et de la Banque Mondiale instituent un cadre juridique leur accordant une protection unilatérale.
Pour contrer cette OPA sur le droit international des droits de l’homme, il est impératif que la justice pénale internationale évolue en levant l’impunité des dirigeants de multinationales quand leurs actions menacent la sûreté de la planète. Pour cela, il faut reconnaître de nouveaux types de crimes et de nouvelles juridictions pour les juger, sans quoi nous resterions dans une vision anthropocentrée du droit ou ni les intérêts de la nature ni ceux des générations futures ne pourraient être pris en considération. Pour cela, le mouvement citoyen international End Ecocide on Earth œuvre à modifier le Statut de Rome, fondateur de la Cour pénale internationale (CPI) et en vigueur depuis juillet 2002. Son cadre est favorable à l’adoption de nouvelles normes contraignantes car il peut être révisé à la demande d’un ou plusieurs États parties face à de nouvelles menaces contre la Paix.
La CPI est chargée de juger les personnes accusées des crimes internationaux les plus graves: crime de génocide, crime contre l’humanité, crime d’agression et crime de guerre. End Ecocide on Earth demande qu’un cinquième type de crime soit reconnu, le crime d’écocide, pour des dommages durables et graves aux communaux planétaires ou a des services ecosystemiques dont dépendent une population, ou un sous-groupe de population comme les groupes minoritaires ou autochtones. L’un des principes clés du texte de 17 amendements que nous proposons au Statut de la CPI pour qu’elle puisse juger le crime d’écocide est le principe de précaution élevé au rang de norme universelle. Le juge international aurait ainsi les moyens de prononcer des mesures conservatoires sur des projets industriels dangereux et pollueurs, et ainsi imposer des mesures contraignantes pour endiguer le changement climatique. Nous avons remis notre proposition entre les mains de Ban Ki Moon dimanche 29 novembre 2015 pour qu’il en soit informe et nous cherchons maintenant l’appui officiel d’un Etat pour porter le projet devant la prochaine assemblée des États parties à la CPI.