Camille Crosnier s’entretient à distance avec des personnalités scientifiques pour nourrir notre réflexion et construire le fameux « monde d’après ». Aujourd’hui, la juriste en droit international Valérie Cabanes confinée chez elle, en Dordogne.
Camille Crosnier s’entretient à distance avec des personnalités scientifiques pour nourrir notre réflexion et construire le fameux « monde d’après ». Aujourd’hui, la juriste en droit international Valérie Cabanes confinée chez elle, en Dordogne.
Je suis chez moi, en Dordogne. J’ai la chance de vivre à la campagne. C’est un choix. Je suis dans un grand jardin en lisière de forêt, où je peux aller me promener sans dérogation parce qu’il n’y a personne, je le vis vraiment comme une bénédiction en ce moment.
Je pense que c’est une opportunité pour l’introspection. C’est un moment de pause. La terre est en pause. Nous sommes en pause. Si on n’utilise pas ce moment pour réfléchir à notre manière de vivre, notre manière de consommer, à la manière dont le monde fonctionne et sur quelles valeurs, nous n’allons pas devant des lendemains qui chantent. C’est un peu, une forme de répétition générale de ce qui nous attend, nous, nos enfants, nos petits-enfants, nos arrière-petits-enfants, face au défi écologique, au défi climatique qui ne vont faire qu’exacerber et renforcer ce type de crise dans les décennies qui viennent.
A travers les valeurs qui nous ont été inculquées par nos philosophes, par notre religion, l’Occident (majoritairement) s’est déconnecté du monde naturel. On a fait une distinction entre nature et humanité. On a regardé la nature comme un puits infini de ressources et on a recherché le confort matériel à tout prix en pensant que c’est ce qui allait nous apporter le bonheur. On est tous un peu responsables, en encourageant le système consumériste, le capitalisme, au lieu de vivre en harmonie avec les autres espèces et les autres systèmes du vivant, et de savoir partager ces ressources, retrouver le sens de l’appartenance à un territoire, plutôt que de se poser en maître du vivant et en propriétaire de la Terre. Je crois que c’est un péché d’orgueil que nous avons commis, si on peut parler de péché.
On est confronté à notre vulnérabilité. Je n’arrive pas à distinguer le sujet des droits de l’Homme avec celui des droits de la Nature, car je ne me dissocie pas de la nature. Je considère que c’est en permettant à chaque écosystème, à chaque espèce, à jouer son rôle pour maintenir la vie sur Terre que nous pouvons garantir nos propres droits fondamentaux à l’eau, à l’air, à un air sain, à un sol vivant, à l’alimentation, à la santé, à l’habitat.
On a oublié nos liens d’interdépendance et la réalité nous saute aux yeux aujourd’hui. En termes de droit international, la façon dont les États entre eux ont essayé de maintenir la paix en créant par exemple les Nations Unies, on voit que le socle commun de valeurs que l’on a cherché à défendre, ne s’appuient que sur des intérêts économiques. C’est l’économie qui prime sur l’homme, qui prime sur la nature et qui, aujourd’hui, nous met dans une situation absolument intenable. Le Covid est une expression de l’écocide en cours.
Il met en exergue la fragilité de la mondialisation économique qui n’est pas une mondialisation des valeurs, qui n’est pas un humanisme – que l’on aurait dû cultiver -, mais qui est en fait une mondialisation économique, prédatrice, et nous met tous aujourd’hui en danger.
Je pense qu’il va être bouleversé et que c’est un pari. Soit on décide que chacun se retrouve à devoir vivre dans la sobriété, dans la simplicité, revenir à une consommation de l’essentiel et finalement, à essayer surtout de préserver les liens. Dans les territoires, à la campagne, je constate que le « monde d’après » est déjà en train de se construire. Il y a des réseaux de solidarité extraordinaires qui se mettent en place pour penser et mettre en œuvre une résilience, une souveraineté alimentaire, une économie relocalisée et une solidarité en action. Et puis, il y a des personnes qui vivent en ville ou qui vivent dans des quartiers plus populaires et qui n’ont pas accès à cette capacité à être autonomes, à être plus souverains par rapport à ces besoins qui sont trop dépendants encore de l’économie de marché et qui donc – c’est la deuxième option – risquent de favoriser un resurgissement de la frénésie consumériste. Je ne voudrais pas qu’on se retrouve dans les années folles parce que là, on va vraiment scier la branche sur laquelle nous sommes assis et mettre en danger les générations futures.
Même si je pense que la solution est d’abord dans les territoires, à partir du moment où on maintient la structure qu’est l’État, il faut que l’État soit le garant du respect des limites planétaires. Il faut que notre Constitution devienne une véritable Constitution écologique et impose un cadre à l’activité industrielle de manière à être en capacité de prévenir les crises écologiques à venir et de prévenir les futures pandémies qui seront bien plus graves. C’est à nous de demander à l’État de cadrer notre activité de manière à respecter les limites écologiques de la Terre. Le droit doit se transformer. Nous devons reconnaître aujourd’hui le droit des écosystèmes à maintenir la vie sur Terre, le droit des espèces. Le droit économique doit absolument être cadré et s’assujettir aux droits humains et aux droits de la nature. C’est le plaidoyer que je mène depuis des années et c’est son heure de vérité. Soit, on a des gouvernements qui comprennent cette nécessité-là et qui profitent de cette crise pour transformer le système, transformer l’échelle des normes. Ou alors c’est « business as usual » et on va, à mon avis, vers un suicide collectif, et les premières victimes seront les victimes des pays du Sud qui, elles aussi, sont en première ligne en ce moment face à la pandémie et face au changement climatique.
Les citoyens doivent se mobiliser. L’enjeu aujourd’hui est de reprendre conscience que nous sommes d’abord les citoyens de la Terre et que nous appartenons à une même humanité. Ce qui se passe à l’autre bout du monde finira toujours, à un moment donné, par nous affecter directement. Et donc être vraiment en capacité de renouer avec des valeurs universelles. Je crains aujourd’hui que les Nations unies et que l’Europe soient en danger parce que ce qui est en train de se profiler, c’est des leaders politiques qui profitent de cette crise pour lancer des politiques populistes et des replis nationalistes. Ce serait une grave erreur de s’enfermer au sein de frontières qui sont totalement virtuelles quand il s’agit de réfléchir à l’humanité au sein des limites que la planète nous offre.
C’est un peu la manière dont je vis, c’est-à-dire, des personnes qui vivent au plus proche de la forêt, pourquoi pas même dans la forêt, qui vivent dans des maisons qui restent des maisons sobres mais confortables et qui sont capables aussi de redécouvrir des compétences : le métier de forgeron, le métier de cordonnier, le métier de maçon et où chacun est en capacité de décider de manière collective de pouvoir vivre de ce que le territoire lui offre et accepter de revivre simplement dans le calme. Renouer aussi avec l’idée d’un travail à domicile, pourquoi pas du télétravail et pouvoir profiter ainsi de la nature qui nous environne, de ces chants d’oiseaux que moi j’entends du matin au soir. Revenir à l’essentiel. Quand je vois la collaboration avec mes voisins, qui sont de tous milieux, de tout métier, mais où il y a une vraie solidarité, où on se salue, où on prend des nouvelles les uns des autres, où on est en capacité de s’aider dans les moments difficiles, je me dis que le monde d’après devrait être celui-là, celui d’une humanité qui réapprend à vivre sobrement, en pleine nature.
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