Envoyée spéciale, Bruxelles
À la tribune, chacun semble avoir attendu longtemps ce moment. Autour des députées écologistes, Catherine Grèze, Eva Joly et Ulrike Lunacek, à l’initiative de la journée, des scientifiques, des juristes, des militants… Et surprise de dernière minute, des représentants du gouvernement brésilien et de Norte Energia, le consortium qui gère le barrage. Les débats sont houleux, la tension est palpable. Le Parlement européen s’envole, pour quelques heures, de l’autre côté de l’océan Atlantique, dans la moiteur de l’Amazonie.
Nous sommes au milieu du poumon vert de la planète, dans l’Etat du Para. Le fleuve Xingu se fraie un chemin à travers la jungle pour rejoindre l’Amazone. Sur les berges, des populations autochtones vivent de la pêche. Certaines sont entrées en contact avec la « civilisation » il y a moins de vingt ans. Elles perpétuent un mode de vie et une culture millénaires. Un monde qui pourrait bientôt disparaître. Car depuis près de deux ans, chaque jour, quelques 15 000 ouvriers s’affairent à la construction de ce qui sera, dès 2015, le troisième plus grand barrage au monde.
De quoi produire 11% de l’électricité du pays. Mais pour ce faire, il faut créer un lac en inondant des centaines d’hectares de forêt, détourner le fleuve Xingu sur 20 km, et déplacer près de 20 000 personnes. Censé désenclaver une région pauvre et marginalisée, le méga-projet de Belo Monte menace de détruire des équilibres sociaux et environnementaux fragiles.
Le chantier de Belo Monte –
Les discussions ont lieu à Bruxelles, jeudi 14 novembre, lors d’un colloque organisé par le groupe des Verts au Parlement européen. Le même jour, le gouvernement brésilien annonce que la déforestation en Amazonie brésilienne a augmenté de 28 % en 2012 : les données satellitaires indiquent que 2 256 km2 de forêt ont disparu en un an.
La construction d’un barrage hydroélectrique entraîne inévitablement une modification profonde de l’écosystème. Terres inondées en amont, et débit du fleuve modifié. Les ingénieurs de Belo Monte ont voulu limiter l’impact environnemental en détournant le cours d’eau. Ils ont ainsi créé un système complexe composé de deux canaux. Résultat, peu de terres, en comparaison avec le gigantisme du projet, seront inondées. Cela représente quand même quelques 660 km2…
Mais cette astuce technique a un revers : en amont, le Xingu verra son débit fortement diminué. Le barrage aura donc deux effets paradoxaux : en amont, une inondation, et en aval, un assèchement. La faune et la flore locales, notamment les poissons, survivront-ils à cette modification radicale de leur lieu de vie ? La biologiste Janice Cunha en doute : « la réduction du courant pourrait causer la mort de plusieurs millions de poissons, sur plus de 100km ». Le gouvernement brésilien dément ce constat alarmant. « D’après l’étude d’impact, il n’y aura pas d’assèchement, au contraire ». Sauf que, pour les opposants, cette étude d’impact était biaisée. « Elle a été réalisée par une filiale de GDF-Suez, LEME, qui a elle-même des intérêts dans des barrages hydroélectriques », explique Olivier Petitjean, de l’Observatoire des multinationales.
Autre épine dans le pied du gouvernement brésilien, l’énergique hydraulique, considérée comme propre car renouvelable, provoque des émissions de CO2 et surtout de méthane. Car une fois les forêts inondées, les arbres pourrissent rapidement, dégageant une importante quantifié de gaz à effet de serre. Ces eaux stagnantes posent également d’importants problèmes sanitaires : paludisme, lié à l’augmentation des moustiques, eau impropre pour la consommation.
Assaut contre les populations autochtones
Près de 20 000 personnes déplacées, d’après l’association Survival, moins de 10 000 selon le gouvernement. Derrière cette bataille de chiffres, se trouve la question des droits des populations autochtones. Kayapos, Jurunas, Araras. Antonia Melo, coordinatrice du Movimento Xingu vivo para sempre, vit depuis 1953 dans le Para.
– Antonia Melo –
Elle raconte les expulsions, et les « fausses indemnisations des autorités, qui proposent des logements insalubres et précaires ». Référence aux lotissements construits dans le cadre d’un important programme de compensations. Des écoles, des stations de purification des eaux, des routes ont ainsi été bâties dans la région de Belo Monte.
Pour Felicio Pontes, procureur de l’état du Para, le problème principal est ailleurs. « Le projet du barrage est illégal, car il s’est fait sans consultation préalable des populations locales, comme l’exige la Constitution ». Pour la juriste Valérie Cabanes, « toutes les institutions du droit international condamnent ce projet ». Et de fait, plus de vingt procès sont en cours.
Le gouvernement rétorque que les habitants ont tous été consultés via des études ethnologiques, approuvées par la FUNAI, la fondation nationale de l’indien. Une agence qui, sur le terrain, manque cruellement de moyens.
Le marasme social se fait déjà à Altamira, la localité la plus proche du chantier. La ville a connu un triplement de sa population, aujourd’hui estimée à 150 000 habitants. Dans le sillage des travailleurs, drogue et prostitution sont arrivées. Les autorités ont renforcé les contrôles, mais le mal est fait.
Le dessous des cartes
Le plus grave, pour Catherine Grèze, députée européenne écologiste à l’initiative de la journée de débat, « c’est qu’il ne s’agit même pas d’un projet énergétique. Le véritable enjeu est minier ». Elle parle à ce propos d’un « cheval de Troie ». « On nous le vend comme un projet d’énergie renouvelable, alors que c’est la porte ouverte à l’extraction minière et à la destruction de l’Amazonie ». Elle en veut pour preuve les études géologiques certifiant la présence d’or sous le cours asséché du Xingu, et les importantes réserves d’aluminium dans la zone.
Joao dos Reis Pimentel, directeur de questions sociales à Norte Energia, s’en défend. « 70% de l’électricité qui sera produite est à destination des foyers. Ce projet est avant tout au service des Brésiliens. Oui, il y a eu des problèmes, mais nous les résolvons petit à petit. Nous voulons que Belo Monte soit un modèle de développement durable. »
L’histoire dépasse largement les méandres du fleuve Xingu. Parce que des entreprises multinationales, comme Alstom ou GDF Suez, sont concernées. Parce que le projet est symptomatique d’un modèle de développement directement importé de nos contrées européennes. Parce que, comme l’avance Felicio Pontes, « il y a quelques 150 projets du même type en Amazonie ». L’Amazonie est devenue la proie d’un système économique mondial en quête de ressources naturelles.
Mais, selon les écologistes, des alternatives sont possibles pour le Brésil, à base d’économie d’énergie et d’énergies renouvables.
Action à Paris vendredi 15
A Paris, vendredi 15 novembre, un rassemblement de protestation a lieu à 12 heures à La Défense, devant le siège de la compagnie Alstom.