Publiée dans Le Monde le 14 février 2020
« La rhétorique écologique des dirigeants français relève surtout d’éléments de langage »
Parmi les réponses qu’exige de toute urgence l’accélération de la crise climatique et des atteintes à la biodiversité, figure la nécessité de repenser un droit et une gouvernance respectueux de l’écosystème Terre. La première étape serait d’oser imposer un cadre contraignant aux activités industrielles pour qu’elles respectent les limites de ce que la planète nous offre et préservent ainsi nos conditions d’existence. Cela implique de reconnaître le crime d’écocide. La seconde étape serait d’inventer des moyens de concilier nos droits à ceux des autres éléments de la nature, en commençant par leur reconnaître le droit à jouer leur rôle respectif dans le maintien de la vie.
Depuis plusieurs mois, ces deux propositions sont reprises dans des éléments de langage de nos dirigeants dans les arènes internationale, européenne et nationale. Les alertes scientifiques de plus en plus pressantes et la multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes à travers le monde, les incitent à adopter une rhétorique écologique révolutionnaire.
En outre, le président de la République souhaite légitimer son titre de « Champion de la Terre », décerné par les Nations unies en 2018 mais en décalage avec son image en France. Il disposera, cette année, de deux tribunes à haute valeur symbolique : le Congrès mondial de la nature à Marseille, en juin, et la conférence des parties à la Convention sur la biodiversité (COP15) en Chine, en décembre.
En août 2019, Emmanuel Macron avait qualifié d’écocide les feux en Amazonie. Le 10 janvier, devant la Convention citoyenne pour le climat, il a reconnu la nécessité de légiférer « à l’international » sur le crime d’écocide en adoptant un amendement au statut de la Cour pénale Internationale (CPI) et a affirmé travailler avec ses partenaires européens en ce sens.
Pas d’appui
Mais la réalité est tout autre. Début décembre 2019, la France n’a pas envoyé son ambassadeur pour l’environnement à l’Assemblée des Etats parties à la CPI, où il était pourtant invité par les républiques du Vanuatu et des Maldives. Ces Etats insulaires, menacés par la montée les eaux du fait du réchauffement, ont attendu en vain un appui de la France à leur demande de reconnaissance du crime d’écocide.
Qu’en est-il au niveau européen ? Le 16 janvier, le groupe parlementaire Renew Europe, auquel appartiennent les eurodéputés de La République en marche (LRM), s’est fait remarquer en soutenant au Parlement européen un amendement demandant que l’Europe défende lors de la prochaine COP15 l’octroi d’un statut juridique aux communs naturels et aux écosystèmes marins et terrestres, et que leur soient reconnus des droits.
Cet amendement, porté par la députée du groupe Les Verts, Marie Toussaint, a bien failli être adopté, à 23 voix près (291 pour, 314 contre). C’est indéniablement une surprise, car il s’agit là de soutenir un renversement des normes où la nature deviendrait sujet de droit et non objet d’appropriation, et donc, en filigrane, où le droit commercial serait contraint de respecter le droit des écosystèmes à exister, se régénérer et évoluer.
Mais là encore, ne soyons pas dupes. Il est facile pour des députés européens de se positionner ainsi dans le cadre de recommandations faites au reste du monde en vue de la COP15, sachant qu’elles ne les engagent en rien. Il y a d’ailleurs fort à parier que ce vote n’aurait pas obtenu ce suffrage s’il avait fallu voter une directive européenne, vouée à s’appliquer, par transposition, à la France.
Des recommandations au reste du monde
Enfin au niveau national, Emmanuel Macron n’a jamais souhaité que le crime d’écocide soit reconnu. Deux propositions de loi sur ce thème ont été présentées en 2019, l’une en mai au Sénat, l’autre en décembre à l’Assemblée, toutes deux par les groupes socialistes. Elles ont été rejetées en bloc par les deux majorités.
Il est clair qu’Emmanuel Macron est réticent à l’idée que les intérêts économiques français puissent pâtir d’une législation qui contraigne l’activité industrielle au respect des limites planétaires. En effet, cela imposerait de restreindre la liberté d’entreprendre et le droit de propriété, et au-delà, de bousculer la foi aveugle de beaucoup de nos dirigeants politiques et économiques dans le dogme de la croissance.
Cette position s’est nettement affichée lors des débats sur la réforme constitutionnelle souhaitée par Emmanuel Macron début 2018 (et toujours dans les limbes). De nombreuses associations avaient alors proposé une réécriture de l’article 1 de la Constitution afin d’inclure dans les principes fondamentaux de la République la lutte contre les changements climatiques, la préservation de la biodiversité et le respect des limites planétaires.
Le gouvernement s’était dit prêt à soutenir les deux premiers points mais en ne s’engageant qu’à les « favoriser », et ce, sur recommandations du Conseil d’Etat. En effet, engager la République à les « garantir » aurait pu permettre aux citoyens de poursuivre l’Etat en cas de manquements à ses obligations.
Enfin, il s’est opposé catégoriquement à l’idée de respecter les limites planétaires : [le changement climatique, les pertes de biodiversité, les perturbations globales du cycle de l’azote et du phosphore, l’usage des sols, l’acidification des océans, la déplétion de la couche d’ozone, les aérosols atmosphériques, l’usage de l’eau douce, la pollution chimique]. Six d’entre elles sur neuf ont déjà été franchies par la France, selon l’aveu même du ministère de la transition écologique et solidaire dans son « Rapport sur l’état de l’environnement » publié en octobre 2019.
Nos dirigeants soutiennent plutôt les industriels
Ces limites, définies par le Stockholm Resilience Center et déjà utilisées par l’ONU et l’Union européenne afin de se fixer des objectifs de développement soutenables, correspondent à neuf processus et systèmes régulant la stabilité et la résilience du système terrestre dont dépendent nos conditions d’existence.
Pour chacun d’entre eux, des valeurs seuils ont été définies qui ne doivent pas être dépassées si l’humanité veut pouvoir se développer dans un écosystème sûr. Le franchissement de ces limites, en particulier concernant le changement climatique et l’érosion de la biodiversité, nous conduit vers un « point de basculement » caractérisé par un processus d’extinction de masse irréversible et des conséquences catastrophiques pour l’humanité.
Ainsi refuser d’engager la France vers le respect des limites planétaires est une preuve supplémentaire, s’il en fallait, du soutien de nos dirigeants aux systèmes financier et industriel actuels qui, au nom du profit, n’ont aucun scrupule à menacer le climat, la biodiversité, la qualité des sols, de l’air et de l’eau, et au final à mettre nos vies et celles des générations futures en danger.
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