Tribunes
TRIBUNE. #NousLesPremiers : élus, personnalités publiques ou citoyens, ils s’adressent à Emmanuel Macron pour dessiner le « monde d’après »
Plusieurs maires de grandes villes, des présidents d’exécutifs locaux et des personnalités publiques envoient une lettre ouverte à Emmanuel Macron, intitulée « Un scénario démocratique pour le ‘monde d’après' », dans cette tribune pour franceinfo. Ils proposent trois étapes pour un plan de relance « juste et durable » après la crise due au coronavirus : une phase de consultation citoyenne, puis la création d’un Conseil national de la Transition et enfin la création d’une Assemblée citoyenne du futur.
Monsieur le Président de la République,
Dans votre dernière allocution, vous déclariez : « Sachons, dans ce moment, sortir des sentiers battus, des idéologies. Et nous réinventer. Moi le premier. »
Nous les premiers, citoyens, associations, maires, présidents de régions et de départements, élus locaux, syndicats, entreprises, gilets jaunes, acteurs de la transition écologique, sociale et démocratique… sommes prêts à dessiner ensemble un chemin qui tire « toutes les leçons de cette crise ».
Nous souhaitons que ne soient pas refaites les erreurs du passé. Oui, l’urgence de la sauvegarde des emplois nous impose de réagir vite. Nous le comprenons. Mais, puisque les mesures pour sortir de la crise impacteront durablement les choix politiques à opérer, les investissements qu’elles nécessitent ne peuvent se décider sans concertation, discutés en trois jours dans un Parlement vidé de ses membres où trois représentants LREM possèdent à eux seuls la majorité absolue. Nous regrettons notamment votre décision de ne pas poser de conditions environnementales et sociales sérieuses à l’octroi de 20 milliards d’euros à la relance d’industries comme l’aviation et l’automobile, contrairement au Danemark, l’Autriche ou encore la Finlande.
Tout se passe comme si les leçons de la relance consécutive à la crise financière de 2008 n’avaient pas été tirées : un plan de relance décidé sans y associer les territoires, ni les citoyens, qui creuse les inégalités, augmente la pollution et affaiblit de plus en plus les services publics…Les signataires
Afin d’éviter que le climat, la biodiversité et la justice sociale ne fassent à nouveau les frais des premières actions de sortie de crise, nous vous demandons d’ores et déjà de prendre en compte les recommandations de la Convention Citoyenne pour le Climat. Ses 150 membres tirés au sort préconisent « que les financements mobilisés dans le cadre de la sortie de crise soient socialement acceptables, fléchés vers des solutions vertes et que les investissements se concentrent dans des secteurs d’avenir respectueux du climat ».
Pour sortir de la crise « dans la concorde » et inventer ensemble ce fameux « monde d’après », il est indispensable de dessiner un scénario démocratique impliquant le plus largement possible les citoyens, les territoires et la société civile organisée, comme vous y invitent d’ailleurs de nombreuses voix depuis le début de la crise, à l’instar du CESE, des organisations du Pacte du pouvoir de vivre, de réseaux d’entrepreneurs, de plusieurs partis politiques, jusqu’au président de votre conseil scientifique Covid-19.
Ainsi nous vous proposons, à vous, mais également à tous les acteurs agissant à l’échelle des territoires, et à l’ensemble des Français, une méthode démocratique pour élaborer un plan de relance juste et durable, puis un grand plan de transformation de la société, articulés avec ceux des territoires. Celle-ci s’articule en trois étapes :
1- Dès maintenant (au moins pendant la durée du confinement) : permettre à chaque citoyen de participer à construire le « monde d’après » en faisant entendre son point de vue et ses idées à travers des canaux de contribution divers. De nombreuses initiatives ont d’ores et déjà été mises en place à travers différentes plateformes en ligne et contributions collectives (d’ONG, de parlementaires, de syndicats). Nous défendons le principe d’ouverture des données récoltées, centralisées dans un espace dédié (par exemple, le site www.apresmaintenant.org).
Par ailleurs, nous préconisons que l’ensemble de ces contributions fasse l’objet d’une synthèse indépendante du gouvernement, afin d’en garantir l’exhaustivité, la sincérité, et valoriser la parole citoyenne. Cette synthèse pourra ainsi alimenter les délibérations organisées aux deux étapes suivantes. Pour encourager la participation d’une population la plus diverse possible, notamment des personnes en première ligne, des quartiers populaires et des plus vulnérables, nous invitons l’ensemble des associations concernées, les plateformes de consultation, les médias et corps intermédiaires du pays à diffuser et faciliter l’engagement au sein de ces initiatives.
Enfin, pour faire le lien entre la contribution en ligne et les dynamiques locales d’engagement, nous proposons à chacun de participer à la démarche proposée par Bruno Latour permettant d’établir des « gestes barrières à tout retour à la normale ».
2- A court-terme (mai-juin) : mettre en place des Fabriques de la Transition au niveau local ainsi qu’un Conseil national de la Transition. Nous avons la conviction qu’il faut partir des territoires, au plus proche des citoyens, pour concevoir des plans de relance juste et durable. Ainsi, nous proposons qu’au sein de tous les territoires, les acteurs de la transition (associations, conseils citoyens, conseils de développement, collectifs citoyens, entreprises, chercheurs, élus locaux, citoyens engagés, etc.) s’inscrivent dans une dynamique collective de « Fabrique de la Transition ». Leurs missions : définir des mesures de relance pertinentes à leur échelle (commune, intercommunalité, métropole…) et faire remonter au Conseil national de la Transition, si possible dès le mois de juin, les projets pour un plan de relance juste et durable au niveau national.
C’est aux forces vives de chaque territoire que doit revenir l’initiative de lancer sa propre fabrique, de manière autonome, en fonction de ses spécificités, en respectant des lignes rouges méthodologiques claires… et bien entendu dans le strict respect des consignes sanitaires.Les signataires
Pour ce faire, ils s’appuieront sur un référentiel et des outils communs. Le Conseil national de la Transition, dans l’esprit du « Grenelle » proposé par diverses organisations, aura une composition hybride (ONG, syndicats, entreprises, élus, citoyens) et donnera toute sa place à la parole citoyenne pour définir un plan national de relance durable, en respectant le principe de représentation des territoires. Le fonctionnement précis du Conseil national devra être défini avec ses parties prenantes et des experts de la participation citoyenne.
3- A moyen-terme (septembre) : préfigurer une Assemblée citoyenne du futur, comme imaginée lors du premier projet de réforme constitutionnelle sous l’impulsion d’organisations de la société civile. En attendant la possibilité d’une réforme constitutionnelle, nous préconisons que cette Assemblée reprenne la méthodologie de la Convention citoyenne pour le Climat. Sa mission: définir les grands principes d’un plan de transformation du pays, et établir des recommandations pour l’échelon européen, en vue de construire une société plus juste et plus résiliente. Nous proposons qu’elle soit composée uniquement de citoyens tirés au sort en s’appuyant notamment sur l’audition d’élus et de corps intermédiaires (associations, entreprises, syndicats, chercheurs et universitaires).
Nous demandons à ce que soit donnée à cette Assemblée citoyenne du futur une existence légale (à travers un vote du Parlement dès l’été 2020), afin de garantir sa légitimité et un débouché politique pour ses propositions. Une telle Assemblée citoyenne pourra être déclinée au niveau régional ou départemental par les collectivités volontaires. À terme, nous proposons que cette Assemblée citoyenne du futur soit entérinée par une réforme constitutionnelle et qu’elle ait un véritable rôle contraignant dans le processus législatif sur tous les sujets concernant le vivant et le long terme.
Cette démarche démocratique en trois étapes a été construite par une diversité d’acteurs, dans un large processus d’intelligence collective. Elle naît dans les territoires et s’appuie sur les forces vives du pays.Les signataires
Elle répond aussi à la forte demande de participation citoyenne qui a émergé à l’échelon européen. Il serait souhaitable que la Convention sur l’avenir de l’Europe intègre les réflexions des citoyens européens sur le « monde d’après ».
Monsieur le Président, que vous suiviez ou non nos recommandations, nous commençons dès maintenant à mettre en place une telle démarche de notre côté. Ainsi, une alliance d’acteurs institutionnels, citoyens, économiques, environnementaux et sociaux est d’ores et déjà engagée dans cette dynamique de transition démocratique. Alors que certains territoires préparent des plans de relance et de transformation avec les citoyens, d’autres travaillent à la mise en place d’un Conseil national de la Transition regroupant des personnalités aux compétences diverses reconnues, et à même d’imaginer le « monde d’après » et de mettre en place l’Assemblée citoyenne du Futur. Enfin, la Commission nationale du débat public s’est, de son côté, déclarée disposée à accompagner l’ensemble du processus que nous proposons.
Dans le sillon de ces pionniers, nous profitons de cette lettre ouverte pour lancer un appel aux autres collectivités, associations, syndicats, entreprises et citoyens qui, comme nous, considèrent que le « monde d’après » ne peut pas se décider sans les territoires et sans les citoyens ; toutes celles et ceux qui considèrent que la société de demain doit être plus transparente, participative et coopérative ; toutes celles et ceux qui sont convaincus que c’est par plus de démocratie que nous réussirons à sortir grandis des crises économiques et sanitaires qui nous ébranlent : rejoignez le mouvement ! Créez ou ravivez vos Fabriques locales de la Transition. Intégrez ou soutenez le Conseil national de la Transition pour imaginer un « monde d’après » plus juste, plus résilient et plus heureux. Cette crise est une épreuve difficile, ayons l’audace d’en faire une opportunité, en faisant collectivement les bons choix !
Des élus de tout bord, des représentants associatifs, des chefs d’entreprises, des têtes de listes aux municipales, des intellectuels, des personnalités publiques, des citoyens… soutiennent ce scénario démocratique pour construire le monde d’après. Liste ici : https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/tribune-nouslespremiers-elus-personnalites-publiques-ou-citoyens-ils-s-adressent-a-emmanuel-macron-pour-dessiner-le-monde-dapres_3937031.html
La France doit porter une mobilisation responsable des leviers monétaires et financiers européens !
OPINION. Nous sommes partis pour reproduire les mêmes erreurs pour sauver le système actuel que lors de la crise financière en 2008-2009. Il faut au contraire saisir ce moment pour réorienter les financements vers des activités durables et solidaires. En ce sens, la Banque de France et le ministère de l’Economie peuvent jouer un rôle central au niveau européen. Par collectif (*)
Partout dans le monde, la tragédie du coronavirus grippe les rouages de l’économie et suscite la panique des marchés à mesure qu’elle affecte les corps.
Face au virus, la priorité absolue est de mobiliser et renforcer les systèmes sanitaires. Pour assurer la santé des populations, apporter un soutien immédiat aux citoyens et aux entreprises et éviter l’installation d’une crise économique durable1 2, les États préparent des plans de relance historiques, appuyés par l’action volontaire des banques centrales3.
Cependant, en visant le retour à la normale et en alimentant de manière indiscriminée4 des marchés financiers dopés de longue date aux énergies fossiles, cette réponse nécessaire pose les bases de crises futures sans soutenir en priorité les plus touchés. La Banque de France a le devoir de réagir pour protéger les Français et les Européens.
Au bénéfice des grandes entreprises
Ainsi, si l’intervention historique de la BCE5 permet sans aucun doute d’accroître la liquidité du marché, c’est avant tout au bénéfice de grandes entreprises, dont les majors des énergies fossiles, davantage présentes sur les marchés financiers et plus faciles à financer :
- En l’état, les nouvelles opérations de refinancement de long terme ne peuvent cibler les prêts aux petites et moyennes entreprises6. Si tel est son objectif, l’Eurosystème devra se doter d’outils leur donnant accès à ces financements bancaires ;
- L’intensification des rachats d’actifs d’entreprises – via le quantitative easing – ne bénéficie pas directement aux ménages et petites entreprises mais finance les plus grandes d’entre-elles7. Ce faisant, elle pourrait apporter jusqu’à 132 milliards de financement aux entreprises les plus polluantes8 ;
- Rien ne permet d’assurer que les prêts accordés par les banques aux entreprises et ménages grâce aux mesures mises en place seront à taux réduit, pour ne pas pénaliser une future reprise d’activité ni alimenter, à terme, les dividendes des actionnaires du secteur bancaire.
De plus, l’abaissement des obligations de fonds propres et de liquidité, accordé à tous sans prendre l’exposition des banques à des risques climatiques clairement sous-estimés9, réduit la résilience du système financier. Un risque amplifié par le report de la mise en place de Bâle III10 et l’assouplissement des régulations nationales.
En résumé, nous sommes partis pour reproduire les mêmes erreurs que lors de la crise financière en 2008-2009.
Il n’est pas trop tard pour changer de cap
Mais il n’est pas trop tard pour changer de cap. La situation est grave, et elle appelle à une action immédiate – mais prenons garde à ne pas sacrifier l’avenir. Alors que le changement climatique ne fera qu’accroitre la fréquence et l’intensité des événements tragiques imprévisibles telle que la pandémie de coronavirus11 12, assurer la santé et la sécurité des citoyens, la stabilité économique et financière, nécessite la réduction rapide de l’exposition et du soutien aux activités les plus polluantes.
Pour ce faire, il faut conditionner les politiques d’urgence afin de bien soutenir les petites et moyennes entreprises et les ménages vulnérables et d’exclure les entreprises les plus polluantes, particulièrement celles impliquées dans le charbon et le pétrole et gaz non conventionnels ou dans les énergies fossiles, dont l’essor remet directement en cause l’atteinte des objectifs climatiques. Afin de lutter également contre le risque d’insolvabilité, la piste d’un financement monétaire ou d’une remise en cause des dettes publiques détenues par les banques centrales de l’Eurosystème en échange d’investissements dans la transition écologique devrait également être étudiée.
Pilier de l’Eurosystème, la Banque de France peut devenir le fer de lance d’une conversion des banques centrales à la lutte contre le changement climatique. La Banque de France doit s’engager pour une sortie de crise socialement et écologiquement responsable, ouvrant la voie à une réorientation des financements vers des activités durables et solidaires. En demandant l’exclusion des énergies fossiles, avant tout du charbon et du pétrole et gaz non conventionnels, elle préparerait la révision stratégique de la politique monétaire de la BCE13 qui encadrera la contribution de celle-ci au développement de l’Europe pour les décennies à venir.
Un Green Deal européen
Le ministre de l’Economie et des Finances, qui s’est souvent positionné en faveur de la finance durable14, doit porter cette démarche à ses côtés. Membre clef de l’Eurogroupe, il peut montrer l’exemple en refusant le conditionnement des aides européennes à des mesures « d’ajustement macroéconomique » synonymes d’austérité, et en prônant leur utilisation dans des plans de relances nationaux compatibles avec le Green Deal européen15 et orientés vers l’objectif de neutralité carbone en 205016.
Soignons, protégeons les citoyens européens immédiatement, sans rendre cette tâche impossible dans le futur. Surmontons ensemble cette épreuve et faisons de cette crise, du drame, le ciment d’une société et d’une économie solidaire et durable.
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Signataires :
Eric Alauzet, député
Dominique Bourg, philosophe
Valérie Cabanes, juriste et essayiste
Jérôme Deyris, économiste
Jean Gadrey, économiste
François Gemenne, chercheur
Thomas Lagoarde-Segot, économiste
François-Michel Lambert, député
Cécile Muschotti, députée
Bertrand Pancher, député
Philippe Quirion, économiste
Christophe Revelli, économiste
Xavier Ricard Lanata, éthnologue et philosophe
Jennifer de Temmerman, députée
Marie Toussaint, eurodéputée
Jean-Marc Zulesi, député
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1 https://www.oecd-ilibrary.org/docserver/7969896b-en.pdf?expires=1585903415&id=id&accname=guest&checksum=70EC58A4071B09BBF33D426F4EEE3C1C
2 https://www.insee.fr/en/statistiques/4473305?sommaire=4473307
3 https://www.imf.org/en/Topics/imf-and-covid19/Policy-Responses-to-COVID-19
4 https://reclaimfinance.org/site/2020/03/26/ordonnance-bce-coronavirus-oublie-maux-sociaux-environnementaux/
5 https://www.ecb.europa.eu/press/pr/date/2020/html/ecb.mp200312~8d3aec3ff2.en.html / https://www.ecb.europa.eu/press/pr/date/2020/html/ecb.pr200318_1~3949d6f266.en.html
6 https://www.cepweb.org/the-ecb-response-to-covid-19/
7 https://www.veblen-institute.org/Rapport-Aligner-la-politique-monetaire-sur-les-objectifs-climatiques-de-l-Union.html
8 https://reclaimfinance.org/site/2020/03/26/870-milliards-supplementaires-de-qe-combien-iront-aux-entreprises-les-plus-polluantes/
9 https://www.bis.org/publ/othp31.pdf
10 https://www.bis.org/press/p200327.htm
11 https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2019/09/IPCC-Special-Report-1.5-SPM_fr.pdf
12 https://covid19-economie.banque-france.fr/comprendre/le-covid-19-dabord-et-le-climat-apres-pas-si-simple-liens-entre-risques-sanitaires-et-environnementaux/
13 https://www.ecb.europa.eu/press/pr/date/2020/html/ecb.pr200402~942a1358ee.en.html
14 https://www.novethic.fr/actualite/finance-durable/isr-rse/paris-et-londres-renforcent-leurs-positions-sur-la-finance-verte-147433.html
15 https://climatechangenews.com/2020/04/09/european-green-deal-must-central-resilient-recovery-covid-19/
16 https://reclaimfinance.org/site/2020/04/06/mettre-la-solidarite-verte-au-centre-de-la-reponse-des-ministres-des-finances-europeens/
Halte aux exactions contre les SDF et les réfugiés !
Pour que la solidarité ne soit pas défigurée, nous devons dénoncer les exactions de certains membres des forces de l’ordre envers les plus démunis.
Tribune. Depuis le 14 février, et le premier mort du Covid-19, la pandémie accroît toutes les injustices sociales. La France est solidaire et applaudit tous les soirs les médecins et soignants mobilisés pour tenter de guérir les malades. Les caissières et éboueurs prennent en charge d’essentielles fonctions sociales dans des conditions dangereuses, tout comme d’autres assurent les soins aux personnes âgées ou vulnérables. La grande majorité de la population s’est repliée dans ses logements, tandis qu’au dehors, les forces de l’ordre rappellent à ceux qui l’oublient la nécessité de se confiner et d’être prudent. Mais il y a des exactions. Ce qui met notre solidarité en danger.
Le 13 avril, notre président a appelé «à la solidarité et à la fraternité». Selon lui, «il y a dans cette crise une chance pour nous ressouder, éprouver notre humanité, bâtir… une raison de vivre ensemble profonde, avec toutes les composantes de notre nation».
Pourtant, en fait de fraternité, nous sommes témoins de nombreuses violences vis-à-vis des précaires et démunis.
Il y a ces policiers de Béziers qui, le soir du 8 avril, se sont assis sur les fesses de cet homme SDF d’environ 30 ans qui aurait refusé leur contrôle, interpellation qui l’aurait «calmé», mais qui a provoqué son décès (1).
Il y a ces policiers qui ont mis à l’amende les personnes SDF auxquelles l’Etat ne procure aucun toit pour se protéger, alors que les laisser dehors constitue une mise en danger de la vie d’autrui. Sur certaines attestations à remplir, c’est «sans-abri», «sans-domicile», que les personnes avaient inscrit comme adresse. Qu’auraient-elles pu inscrire d’autre alors qu’elles sont à la rue et sans moyen de se confiner ?
Pire, on continue à évacuer les campements de réfugiés, alors que la crise du Covid-19 devrait plutôt conduire à leur donner les moyens de se confiner.
Il y a cet appel au secours d’Utopia 56, le 17 mars, quand la police est venue à 23 heures déloger de leurs tentes les familles (dont 20 enfants) installées boulevard Ney à Paris.
Il y a ces quatre policiers à cheval à Aubervilliers qui, le 18 mars, ont repoussé les personnes exilées dans un camp insalubre, puis menacé l’association Médecins du monde venue leur apporter des soins de base (2).
Il y a ces personnes sans papiers enfermées dans les centres de rétention de Vincennes et du Mesnil-Amelot, en présence de cas de Covid-19, et auxquelles la police a refusé qu’on apporte le moindre secours (3).
Encore pire, nous constatons la poursuite des violences inqualifiables de lacération de tentes et de destruction des ressources des plus démunis.
Il y a le 31 mars, côté Paris, sous un pont vers la Porte de la Villette, ces tentes d’Afghans détruites par la police, qui leur dit d’aller de l’autre côté du périphérique, à Saint-Denis. Il y a le même jour, côté Saint-Denis, avenue Wilson, la police qui démantèle un campement et enjoint aux occupants d’aller de l’autre côté du périphérique, cette fois vers la Porte de la Chapelle, à Paris.
Il y a le 7 avril, tôt le matin, à Aubervilliers de nouveau, ce campement de réfugiés qui est démantelé, les tentes étant lacérées par les forces de l’ordre, sans qu’aucune mise à l’abri ne leur soit proposée. Les policiers leur ont dit de retourner dans la capitale, à la Porte de la Chapelle, là où les personnes exilées sont systématiquement dispersées et renvoyées de l’autre côté du périphérique.
L’exigence de confinement protège le plus grand nombre. Mais elle devient une menace pour les plus vulnérables d’entre nous, quand elle est utilisée comme prétexte pour attaquer ceux qui n’ont ni logement, ni papiers, ni droits pour les protéger. Et nos élans de solidarité se brisent quand les démunis sont davantage enfoncés dans leur misère. Tout se passe comme si l’occasion de la crise sanitaire élargissait les brèches dans l’Etat de droit, à travers lesquelles les pulsions xénophobes et répressives se déversent furieusement.
Les personnes précaires, exilées et sans-papiers ont droit à la solidarité et à l’égalité des droits d’autant plus dans cette terrible période de crise. Les pouvoirs publics doivent recadrer fermement les forces de l’ordre et sanctionner leurs violences. La crise du Covid-19 ne doit pas devenir une aubaine pour les tenants de l’extrême droite au sein de la police qui rêvent de nettoyer la France des immigrés, des réfugiés et demandeurs d’asile.
Le combat contre l’épidémie emporte l’adhésion de toutes les catégories de la population, par-delà nos différences. Notre solidarité ne doit pas comporter d’exclus ni être défigurée par des exactions des forces de l’ordre.
Signataires : Sabah Abouessalam-Morin Sociologue, enseignant-chercheur, Valérie Cabanes Juriste internationaliste, porte-parole de End Ecocide on Earth, présidente d’honneur de Notre affaire à tous, Aubépine Dahan Sociologue, militante à Paris d’Exil, Susan George Ecrivaine, Dominique Méda Sociologue, Véronique Nahoum-Grappe Anthropologue, Dominique Bourg Philosophe, Claude Calame Historien, Philippe Desbrosses Agrobiologiste, Jean Gadrey Economiste, Georges Menahem Sociologue et économiste, Edgar Morin Sociologue et philosophe, Jacques Testart Biologiste, Patrick Viveret Philosophe, Michel Wieviorka Sociologue, et le Collectif Solidarité Migrants Wilson.
(1) Le Monde du 9 avril.
(2) Vidéo du 18 mars disponible sur la page Facebook du collectif SMW : Solidarité Migrants Wilson
(3) Mediapart, le 13 avril.
Tribune : Comment la France verdit son image
Publiée dans Le Monde le 14 février 2020
« La rhétorique écologique des dirigeants français relève surtout d’éléments de langage »
Parmi les réponses qu’exige de toute urgence l’accélération de la crise climatique et des atteintes à la biodiversité, figure la nécessité de repenser un droit et une gouvernance respectueux de l’écosystème Terre. La première étape serait d’oser imposer un cadre contraignant aux activités industrielles pour qu’elles respectent les limites de ce que la planète nous offre et préservent ainsi nos conditions d’existence. Cela implique de reconnaître le crime d’écocide. La seconde étape serait d’inventer des moyens de concilier nos droits à ceux des autres éléments de la nature, en commençant par leur reconnaître le droit à jouer leur rôle respectif dans le maintien de la vie.
Depuis plusieurs mois, ces deux propositions sont reprises dans des éléments de langage de nos dirigeants dans les arènes internationale, européenne et nationale. Les alertes scientifiques de plus en plus pressantes et la multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes à travers le monde, les incitent à adopter une rhétorique écologique révolutionnaire.
En outre, le président de la République souhaite légitimer son titre de « Champion de la Terre », décerné par les Nations unies en 2018 mais en décalage avec son image en France. Il disposera, cette année, de deux tribunes à haute valeur symbolique : le Congrès mondial de la nature à Marseille, en juin, et la conférence des parties à la Convention sur la biodiversité (COP15) en Chine, en décembre.
En août 2019, Emmanuel Macron avait qualifié d’écocide les feux en Amazonie. Le 10 janvier, devant la Convention citoyenne pour le climat, il a reconnu la nécessité de légiférer « à l’international » sur le crime d’écocide en adoptant un amendement au statut de la Cour pénale Internationale (CPI) et a affirmé travailler avec ses partenaires européens en ce sens.
Pas d’appui
Mais la réalité est tout autre. Début décembre 2019, la France n’a pas envoyé son ambassadeur pour l’environnement à l’Assemblée des Etats parties à la CPI, où il était pourtant invité par les républiques du Vanuatu et des Maldives. Ces Etats insulaires, menacés par la montée les eaux du fait du réchauffement, ont attendu en vain un appui de la France à leur demande de reconnaissance du crime d’écocide.
Qu’en est-il au niveau européen ? Le 16 janvier, le groupe parlementaire Renew Europe, auquel appartiennent les eurodéputés de La République en marche (LRM), s’est fait remarquer en soutenant au Parlement européen un amendement demandant que l’Europe défende lors de la prochaine COP15 l’octroi d’un statut juridique aux communs naturels et aux écosystèmes marins et terrestres, et que leur soient reconnus des droits.
Cet amendement, porté par la députée du groupe Les Verts, Marie Toussaint, a bien failli être adopté, à 23 voix près (291 pour, 314 contre). C’est indéniablement une surprise, car il s’agit là de soutenir un renversement des normes où la nature deviendrait sujet de droit et non objet d’appropriation, et donc, en filigrane, où le droit commercial serait contraint de respecter le droit des écosystèmes à exister, se régénérer et évoluer.
Mais là encore, ne soyons pas dupes. Il est facile pour des députés européens de se positionner ainsi dans le cadre de recommandations faites au reste du monde en vue de la COP15, sachant qu’elles ne les engagent en rien. Il y a d’ailleurs fort à parier que ce vote n’aurait pas obtenu ce suffrage s’il avait fallu voter une directive européenne, vouée à s’appliquer, par transposition, à la France.
Des recommandations au reste du monde
Enfin au niveau national, Emmanuel Macron n’a jamais souhaité que le crime d’écocide soit reconnu. Deux propositions de loi sur ce thème ont été présentées en 2019, l’une en mai au Sénat, l’autre en décembre à l’Assemblée, toutes deux par les groupes socialistes. Elles ont été rejetées en bloc par les deux majorités.
Il est clair qu’Emmanuel Macron est réticent à l’idée que les intérêts économiques français puissent pâtir d’une législation qui contraigne l’activité industrielle au respect des limites planétaires. En effet, cela imposerait de restreindre la liberté d’entreprendre et le droit de propriété, et au-delà, de bousculer la foi aveugle de beaucoup de nos dirigeants politiques et économiques dans le dogme de la croissance.
Cette position s’est nettement affichée lors des débats sur la réforme constitutionnelle souhaitée par Emmanuel Macron début 2018 (et toujours dans les limbes). De nombreuses associations avaient alors proposé une réécriture de l’article 1 de la Constitution afin d’inclure dans les principes fondamentaux de la République la lutte contre les changements climatiques, la préservation de la biodiversité et le respect des limites planétaires.
Le gouvernement s’était dit prêt à soutenir les deux premiers points mais en ne s’engageant qu’à les « favoriser », et ce, sur recommandations du Conseil d’Etat. En effet, engager la République à les « garantir » aurait pu permettre aux citoyens de poursuivre l’Etat en cas de manquements à ses obligations.
Enfin, il s’est opposé catégoriquement à l’idée de respecter les limites planétaires : [le changement climatique, les pertes de biodiversité, les perturbations globales du cycle de l’azote et du phosphore, l’usage des sols, l’acidification des océans, la déplétion de la couche d’ozone, les aérosols atmosphériques, l’usage de l’eau douce, la pollution chimique]. Six d’entre elles sur neuf ont déjà été franchies par la France, selon l’aveu même du ministère de la transition écologique et solidaire dans son « Rapport sur l’état de l’environnement » publié en octobre 2019.
Nos dirigeants soutiennent plutôt les industriels
Ces limites, définies par le Stockholm Resilience Center et déjà utilisées par l’ONU et l’Union européenne afin de se fixer des objectifs de développement soutenables, correspondent à neuf processus et systèmes régulant la stabilité et la résilience du système terrestre dont dépendent nos conditions d’existence.
Pour chacun d’entre eux, des valeurs seuils ont été définies qui ne doivent pas être dépassées si l’humanité veut pouvoir se développer dans un écosystème sûr. Le franchissement de ces limites, en particulier concernant le changement climatique et l’érosion de la biodiversité, nous conduit vers un « point de basculement » caractérisé par un processus d’extinction de masse irréversible et des conséquences catastrophiques pour l’humanité.
Ainsi refuser d’engager la France vers le respect des limites planétaires est une preuve supplémentaire, s’il en fallait, du soutien de nos dirigeants aux systèmes financier et industriel actuels qui, au nom du profit, n’ont aucun scrupule à menacer le climat, la biodiversité, la qualité des sols, de l’air et de l’eau, et au final à mettre nos vies et celles des générations futures en danger.
Lire aussi Valérie Cabanes : « Reconnaître la nature comme sujet de droit »
Le 12 décembre 2019, une proposition de loi pénale a été débattue à l’Assemblée nationale. Elle visait à contrer la menace pesant sur l’habitabilité de notre planète en s’appuyant sur le cadre contraignant de ses limites.
Une Tribune publiée dans Politis le 4 décembre 2019 analyse ce projet.
par Valérie Cabanes Juriste, porte-parole d’End Ecocide on Earth et co fondatrice de Notre Affaire à Tous et Marie Toussaint Juriste, cofondatrice de Notre affaire à tous et députée européenne EELV.
Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, a déclaré lors d’une conférence de presse tenue la veille de l’ouverture de la conférence des Nations unies sur le climat (COP 25) : « Nous devons mettre fin à notre guerre contre la nature et la science nous dit que nous pouvons le faire. » Mais faute d’accord international contraignant pour réguler les activités industrielles et, en particulier, abandonner l’usage des combustibles fossiles, le dérèglement climatique s’emballe et la biodiversité s’effondre, menaçant la paix et la sécurité humaine. Dans un rapport sur les trajectoires des émissions de gaz à effet de serre rendu public mardi 26 novembre, les experts du Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue) disent s’attendre à une hausse de près de 3,4 °C à 3,9 °C de la température du globe d’ici à la fin du siècle, « ce qui entraînera des impacts climatiques vastes et destructeurs ». Les experts en appellent donc à « des transformations sociétales et économiques majeures ».
En France, le dernier rapport sur l’état de l’environnement, publié par le ministère de la Transition écologique et solidaire en octobre, faisait l’aveu que la France avait dépassé six des neuf limites planétaires (processus et systèmes régulant la stabilité et la résilience du système terrestre), dont deux (concernant le changement climatique et l’érosion de la biodiversité) sont fondamentales. Le franchissement de ces limites conduit la planète vers un état auquel nul n’est préparé, mettant en danger toute la toile du vivant. Ne serait-il pas temps de reconnaître que notre système économique global constitue une menace pour l’habitabilité de la Terre ? Ne devrait-on pas questionner l’impunité dont bénéficient nos dirigeants politiques et économiques face à l’écocide en cours, la destruction de notre maison commune ?
C’est pourquoi les associations Nature Rights, Notre affaire à tous et Wild Legal appellent à un sursaut politique dépassant les intérêts partisans en prévision du vote en séance publique qui se tiendra le 12 décembre à l’Assemblée nationale. Ce jour-là sera débattue une proposition de loi pénale pour la reconnaissance du crime d’écocide déposée par le député Christophe Bouillon (PS). Ce dernier a accepté de retravailler son texte selon les conseils des trois associations, qui plaident depuis des années pour la reconnaissance de ce crime. Il présentera une définition de l’écocide qui s’appuie sur le cadre contraignant des limites planétaires : « Constitue un écocide toute action délibérée tendant à causer directement des dommages étendus, durables, irréversibles ou irréparables à un écosystème ou ayant un impact grave sur le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, les cycles de l’azote et du phosphore et leurs apports à la biosphère et aux océans, l’usage des sols, la déplétion de la couche d’ozone, l’acidification des océans, la dispersion des aérosols atmosphériques, l’usage de l’eau douce ou la pollution chimique, commise en connaissance des conséquences qui allaient en résulter et qui ne pouvaient être ignorées. »
En effet, quel dirigeant économique ou politique peut aujourd’hui nier les conséquences sur le climat ou la biosphère de ses activités ? Et pourtant, le rapport Carbon Majors Report de 2017rappelle que depuis 1988, année où a été mis en place le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), les entreprises censées à ce moment-là être au courant des effets de leurs activités sur l’environnement n’ont pas freiné leur développement et ont peu investi dans les énergies propres. Au contraire, elles ont commencé à investir dans des énergies non conventionnelles telles que les sables bitumineux ou le pétrole de schiste, ayant un fort impact sur l’environnement.
Nous semblons oublier que nos droits fondamentaux sont interdépendants du droit de la nature à exister. Il nous faut nous donner les moyens de sanctionner pénalement les atteintes les plus graves faites au vivant. La reconnaissance d’un crime contre notre maison commune ne doit pas être vécue comme une contrainte, mais comme le moyen de protéger nos droits et ceux des générations futures.
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