le 4ème « Tribunal International des Droits de la Nature », pendant la COP23 des Nations Unies sur le changement climatique, les 7 et 8 Novembre à Bonn. Le Tribunal propose une approche juridique innovante reconnaissant aux écosystèmes leurs droits à l’existence, au maintien, à la préservation et à la régénération, et que ces droits puissent être revendiqués en Justice. Un panel de personnalités internationalement reconnues statueront sur des cas emblématiques et formuleront des jugements dans une perspective de protection et de restauration de la Terre en se fondant sur la Déclaration Universelle des Droits de la Terre Mère. La déclaration définit entre autres les devoirs incombant à l’humanité de respecter l’intégrité des cycles écologiques vitaux de la planète.
CHANGEMENT CLIMATIQUE – FAUSSES SOLUTIONS ÉNERGÉTIQUESFINANCIARISATION DE LA NATURE
DROITS DE L’EAU (ALMERIA-ESPAGNE)
DÉFENSEURS DE LA TERRE MÈRE
MINES DE LIGNITE EN ALLEMAGNE
MENACES SUR L’AMAZONIE (EQUATEUR, BRÉSIL, BOLIVIE-TIPNIS & GUYANE FRANÇAISE)
Ce projet, appelé «Montagne d’Or», constituerait la plus importante mine jamais construite en France si elle venait à voir le jour et inquiète les associations de défense de l’environnement.
Le tribunal international des droits de la nature, qui examine ce cas parmi d’autres, se place sur cette ligne et veut notamment alerter le grand public de ses possibles conséquences en termes de pollution.
Il est par ailleurs présidé par Tom B. K. Goldtooth, figure de proue de la lutte des Amérindiens contre le projet de l’oléoduc de Standing Rock dans le Dakota (Etats-Unis)
«L’idée est de permettre aux personnes, notamment aux populations autochtones, de témoigner de crimes environnementaux et de reconnaître un droit à la nature», explique Marion Veber, chargée de mission à la fondation France Libertés, toujours citée par nos confrères.
Les juges se basent sur la Déclaration universelle des droits de la Terre mère, élaborée lors de la Conférence mondiale des peuples contre le changement climatique (CMPCC), en 2010 en Bolivie. Une déclaration qui milite pour une reconnaissance du crime d’écocide devant la Cour pénale internationale.
Une décision symbolique bientôt rendue
Tour à tour, des associations, parmi lesquelles la fondation France Libertés ou des acteurs locaux comme Maiouri Nature Guyane se sont déplacés à la barre pour expliquer en quoi consiste le projet de Montagne d’Or.
Situé en pleine forêt amazonienne, il menace deux réserves biologiques, situées à proximité immédiate. Pour extraire l’or dessous la terre puis l’exploiter, il sera en effet nécessaire de creuser, selon leurs informations, une fosse de 2,5 km de long, de 500 m de large et de 400 m de profondeur.
La question de la gestion des déchets cyanurés, (le cyanure – très toxique – étant très utilisé dans l’orpaillage, ndlr) les inquiète également au plus haut point.
Au terme des auditions, un jugement symbolique et des recommandations seront rendus. S’il n’a pas de valeur légale, les associations espèrent que puisse ouvrir la voie à de nouvelles législations pour mieux contrôler des projets aux conséquences environnementales possiblement catastrophiques.
Aujourd’hui, les juges et législateurs considèrent que la liberté d’entreprendre et le droit de propriété sont plus importants que les dispositions en matière de protection de l’environnement. C’est la position tenue par le Conseil d’Etat dans son avis sur le projet de loi de Nicolas Hulot mettant fin aux hydrocarbures, les arguments utilisés quant à l’adoption du traité de libre-échange avec le Canada CETA, ou encore les arguments utilisés dans l’affaire du glyphosate…
Nous devons intégrer à nos valeurs fondamentales la supériorité de la protection du climat sur les enjeux économiques ! En intégrant le climat à la Constitution, nous rendrons obligatoire la protection des populations et des écosystèmes victimes du réchauffement climatique et les objectifs de l’Accord de Paris de le limiter à 1,5/2°C. En Autriche, un groupe de citoyen-nes a gagné en première instance contre l’agrandissement de l’aéroport de Vienne, car les émissions induites sont contraires aux objectifs de l’Accord de Paris. Notre proposition vise à permettre d’interdire les projets nuisant au climat et entraînant une augmentation forte des émissions de gaz à effet de serre.
Inscrire le climat dans la Constitution ouvrirait enfin une nouvelle page de la démocratie dans notre pays, en permettant aux élu-es de mettre fin à des activités économiques dès lors qu’elles sont contraires aux obligations de protection de l’environnement et de notre santé.
Reconnaître le changement climatique comme un crime d’écocide !
Le changement climatique conduit la planète vers un état auquel nul n’est préparé : il met en danger nombre d’écosystèmes, la survie de nombreuses espèces animales et végétales, mais aussi nos conditions de vie, notre économie, l’habitabilité des territoires, et, de ce fait, la survie même de l’humanité. Le réchauffement climatique est aussi une atteinte à la paix, à l’origine de nombreux conflits armés : c’est la raison pour laquelle le Prix Nobel 2007 a été attribué au GIEC-Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Le GIEC recommande de ne pas dépasser le seuil de 400 ppm de CO2 dans l’atmosphère, ce seuil est d’ors et déjà dépassé et aucun cadrage juridique ne s’applique aux 100 firmes du monde, responsables de 71% des émissions de gaz à effet de serre depuis 1988 ou encore aux décideurs politiques ou financiers qui les soutiennent, et ce, en tout connaissance du changement climatique.1
Le crime d’écocide, du grec “oïkos”, la maison, et du latin “occidere”, tuer, qualifie les atteintes graves à l’écosystème de la terre, notre maison commune, capables de menacer la sûreté et l’habitabilité de la planète. Cette menace peut être déterminée scientifiquement grâce au concept des limites planétaires, limites à ne pas dépasser si l’humanité veut pouvoir se développer dans un écosystème sûr, c’est-à-dire évitant les modifications brutales et difficilement prévisibles de l’environnement planétaire. Le changement climatique, l’une des 9 limites planétaires définies par le Stockholm Resilience Center et reconnue par l’ONU, est qualifié par une concentration atmosphérique en CO2 comprise entre 350 ppm et 450 ppm. Transgresser en connaissance de cause cette limite constitue incontestablement, un des crimes parmi les plus graves.
Reconnaître toute décision industrielle ou politique conduisant à transgresser la limite climatique comme un crime d’écocide permettra de prévenir et réparer les atteintes majeures au climat, et de pénaliser celles et ceux dont les actions contribuent au changement climatique, notamment les dirigeant-es de firmes multinationales, qu’elles soient françaises ou non via l’attribution de la compétence universelle aux tribunaux français.
Permettre aux citoyen⋅nes de défendre le climat en justice
Le climat se réchauffe et les citoyen-nes en sont les victimes, en premier lieu les plus vulnérables. Pourtant, aucun mécanisme ne leur permet réellement aujourd’hui de garantir l’application de l’Accord de Paris, ni même de dénoncer les responsables, que ce soient des personnes privés (entreprises, gestionnaires de fonds ou associations) ou des personnes publiques (Etats, collectivités, institutions internationales…).
La reconnaissance du préjudice écologique et la loi sur le devoir de vigilance des multinationales constituent de premières avancées. Mais au regard de l’urgence climatique, il est nécessaire de mettre en place des moyens juridiques permettant aux citoyen-nes de défendre le climat en justice.
A cet égard, la France doit :
permettre aux associations de saisir la justice pour s’assurer de la mise en œuvre de l’Accord de Paris ;
donner compétence à toute personne ayant intérêt et qualité à agir, notamment aux associations de protection de l’environnement, d’agir en cas de non respect du devoir de protection de l’environnement ;
élargir la notion de préjudice écologique afin d’y intégrer le changement climatique, indépendamment de ses effets, et l’adosser à une compétence universelle du juge français ;
faciliter et élargir l’action de groupe environnementale, pour qu’elle puisse s’appliquer au climat et que les citoyen-nes puissent agir contre des collectivités publiques ou des acteurs privés.
L’Ademe (Agence De l’Environnement et de la Maitrise de l’Energie) tire la sonnette d’alarme : la France est sur les mauvais rails pour atteindre ses objectifs de réduction de 40% ses émissions de gaz à effet de serre par rapport à leur niveau en 1990 d’ici 2040. Mais il y a bien pire ! : la France n’est à ce jour pas contrainte de diminuer ses émissions de gaz à effet de serre importées. Or, entre 1995 et 2015, les émissions de CO2 de la France, si on y intègre les émissions de CO2 importées, ont augmenté ! Contrevenant ainsi à l’ensemble de nos obligations nationales et internationales.
Nous souhaitons une loi contraignant notre pays à réduire ces émissions importées et les intégrer aux objectifs généraux. Cette stratégie permettrait notamment d’éviter la substitution d’énergies fossiles produites hors de notre territoire aux exploitations dont la fermeture est prévue pour 2040 par la loi Hulot sur les hydrocarbures.
Réguler l’activité des multinationales et sortir la finance des énergies fossiles
La France est aujourd’hui plus que timide dans la régulation légale et fiscale des acteurs économiques et financiers. Plusieurs années de suite, le grand producteur de pétrole et d’énergie fossile Total a ainsi été exonérée d’impôts et reçoit chaque année plusieurs milliards d’euros via le CICE…
Sans être le seul exemple, le cas des énergies fossiles et notamment du pétrole est éloquent : si nous voulons limiter le réchauffement climatique à 1,5/2°C tel que nous y incitent l’Accord de Paris et le GIEC, nous devons laisser jusqu’à 80% des ressources fossiles aujourd’hui connues dans le sol, nous indique l’Agence internationale de l’énergie. C’est-à-dire : cesser de produire des énergies sales. Or, aujourd’hui en Europe, ce sont 112 milliards d’euros qui sont annuellement dépensés dans ces énergies, dont 4 milliards d’aide directement fournis par l’Union européenne à l’extraction, et de très nombreuses subventions supplémentaires allouées à ces énergies. Selon le FMI, les subventions directes et indirectes aux combustibles fossiles s’élèvent dans le monde à 5340 milliards de dollars par an. Soit 168 000 dollars par seconde.
L’Etat français se considère pionnier et responsable en ayant mis en place, à travers l’article 173 de la loi portant transition énergétique, une obligation de publication des émissions de gaz à effet de serre. Mais il possède toujours des fonds investis dans les énergies fossiles, n’associe à l’article 173 aucune peine ou amende et n’oblige aucunement les entreprises non gestionnaires de fond à adopter des stratégies contraignantes de protection du climat.
Le droit international, notamment le Pacte des droits économiques, sociaux et culturels, nous oblige pourtant à agir, au maximum de notre capacité, sur notre territoire, afin de protéger et d’atteindre le respect de nos droits. Cela passe par l’encadrement des activités des acteurs privés via des outils pouvant être légaux ou fiscaux.
La France doit au plus vite sortir l’ensemble de l’argent public, celui des citoyen-nes, des énergies fossiles (CDC, BPI, etc). Elle doit obliger l’ensemble des acteurs privés à s’inscrire dans des schémas d’investissement 1,5/2°C compatibles et contraindre les entreprises et banques françaises à mettre un terme ) leurs activités et à leurs investissements dans les énergies fossiles.
1 rapport de l’ONG Carbon Disclosure Project (CDP) réalisé en collaboration avec le Climate Accountability Institute (CAI) à partir du rapport de l’équipe de chercheurs de Richard Heede.
Le colloque co-organisé par Notre affaire à tous et France Libertés « Le droit au service de la justice climatique: jurisprudences et mobilisations citoyennes » s’est tenu le vendredi 3 novembre 2017 à l’auditorium de la Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord.
Le changement climatique menace dès à présent et plus que jamais la survie de l’humanité et de l’ensemble des écosystèmes. Pourtant, les États et les humains peinent à modifier leurs comportements afin de tenir compte de cette donnée fondamentale. Sans attendre les décisions de la diplomatie internationale ni l’action des différents gouvernements, nous avons chacun entrepris une initiative audacieuse : porter devant les tribunaux nationaux les questions de responsabilité liées à la justice climatique et à la prise en compte des limites planétaires. Ce mouvement est profond : il porte non seulement les germes de véritables avancées doctrinales en matière environnementale, mais également une révolution dans laquelle les citoyen-nes se saisissent des tribunaux pour préserver leurs droits fondamentaux et notre planète.
Partout à travers le monde, les mouvements et personnalités qui se sont saisis de la justice climatique et environnementale ont adopté des stratégies diverses mais toujours audacieuses pour faire valoir leurs démarches. Protection des plus jeunes ou des aînées, associations, avocats ou entreprises, individus ou collectif…
Etaient présents au colloque les représentant(es) des divers mouvements pour la justice climatique au niveau mondial :
Anne Mahrer – Les Aînées pour la protection du climat (Suisse)
Client’s Earth (Grande-Bretagne)
Dinesh Chandra Pandey (Wildlife Trust of India)
Dennis Van Berkel (Urgenda)
Our children’s trust (Etats-Unis)
Klimaatzaak (Belgique)
Chaque recours national pour la justice climatique est unique, car si toutes les initiatives ont pour but de préserver le droit à un environnement sain et de faire reconnaître la responsabilité de l’État, les pays ont leur ordre juridique propre. Cette table-ronde se donne ainsi pour objectif de comparer les fondements juridiques invoqués par les divers requérants afin d’en faire émerger les points communs et différences, et de réfléchir aux contours d’un « droit climatique » international et national.
A l’issue du colloque, l’association « Notre affaire à tous » ( que j’ai co-fondée avec Marie Toussaint, Présidente) a posé un ultimatum au gouvernement. Ce dernier a trois mois pour appliquer cinq requêtes sur le réchauffement, faute de quoi elle déposera un recours contre l’État pour son inaction sur le changement climatique. Lire les explications de Novethic ici
En lecture libre avec l’autorisation de Politis, mon entretien avec Ingrid Merckx
« Reconnaître le crime d’écocide »
Dans un essai philosophique et politique, Valérie Cabanes exhorte à agir sur tous les leviers possibles pour se préparer au changement d’ère.
« Nous scions la branche sur laquelle nous sommes assis et fermons les yeux », assène Valérie Cabanes. Juriste en droit international et droits de l’homme, et spécialiste de la question d’écocide, elle publie Homo Natura [1] pour grimper d’un cran après son plaidoyer pour Un nouveau droit pour la terre [2]. L’heure n’est plus à la prise de conscience mais à une forme de révolution : il faut en finir avec la suprématie de la souveraineté nationale qui, face au changement climatique, menace l’écosystème terrestre mais aussi la paix. Il faut instaurer dans le droit international des normes scientifiques qui fassent primer les droits de la nature sur ceux des multinationales. Il faut défendre les droits de la nature en partant des territoires. Il faut enfin garantir un droit du climat à rester stable et un droit des générations futures à vivre dans un climat tempéré.
La lutte contre le réchauffement climatique n’est-elle pas majoritairement anthropocentrée ?
Valérie Cabanes : Le droit s’est construit d’un point de vue anthropocentré. On est loin de pouvoir respecter l’engagement de Paris, c’est-à-dire de rester en dessous de +2 C°, voire même de 1,5 C°. Si le climat se modifie tel qu’annoncé et qu’il atteint +4 C°, on s’achemine vers une situation catastrophique pour l’humanité, mais aussi pour tous les autres êtres vivants qui n’auront pas le temps de s’adapter. Il y a donc toutes les raisons d’agir de façon radicale aujourd’hui. Il y a 11 500 ans environ, à la fin de la période de glaciation, la température moyenne globale sur Terre est montée de 4 C°, or les océans sont montés de 60 mètres, ce qui a entraîné une reconfiguration géographique globale. Pourtant, nous sommes encore dans le déni de ce qui va arriver à une vitesse effrayante.
Près de 60 millions d’Africains sub-sahariens vont devoir quitter leurs terres d’ici à trois ans, 250 millions de personnes d’ici à 2050. Mais rien dans les politiques publiques n’anticipe cette crise. Il n’y a pas que le changement climatique qui menace la stabilité de la Terre. D’autres limites planétaires ont été atteintes. La biodiversité s’est complètement effondrée, puisque nous sommes entrés dans la sixième extinction des espèces. On constate que 80 % des insectes auraient disparu en Europe, 60 % des espèces qui vivent sur Terre. Sommes-nous la prochaine espèce amenée à disparaître ? On a oublié de considérer que l’humain était interdépendant avec les autres espèces et les écosystèmes de la Terre. Si on veut préserver l’humanité, il faut préserver les conditions de vie sur notre planète. C’est pourquoi, même avec une vision strictement anthropocentrée, je ne comprends pas pourquoi on ne parvient pas à prendre les décisions qui s’imposent.
Est-ce à dire que le droit de la nature doit primer sur celui de l’humanité ?
Si une révolution doit avoir lieu, elle se situe dans l’échelle des normes que l’on a adoptées depuis 500 ans. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les États ont eu la volonté de créer une institution leur permettant de définir des règles communes pour essayer de se respecter les uns les autres, de respecter les droits humains et de maintenir les conditions de la paix. Jusqu’aux années 1970, notre échelle des normes faisait primer les droits humains à travers des grands textes internationaux et la déclaration des droits de l’homme.
À partir des années 1970, les multinationales ont renversé cette échelle de normes en considérant que le droit commercial devait primer sur les droits humains, puis sur celui de l’environnement. Ces entreprises ont été oubliées dans la construction du droit international et jouissent aujourd’hui d’une totale impunité. Elles sont parfois plus puissantes que les États et tentent de négocier les réglementations en fonction de leurs intérêts propres. Au regard des lois biologiques, qui ont été complètement occultées, il faudrait renverser cette échelle des normes pour que prime le droit de la vie à se perpétrer, ce qui permettra de protéger les conditions de la vie humaine et donc les droits fondamentaux de l’humanité : l’eau, l’alimentation, l’habitat, etc. Le droit économique devrait ainsi s’assujettir aux deux autres. C’est une émanation de l’humanité, il ne devrait pas déterminer l’avenir de tous les écosystèmes.
Ne sommes-nous pas face à un problème de rapport de force ?
Le rapport de force exprime une réalité : le changement climatique est un révélateur des inégalités et les amplifie. Aujourd’hui, 1 % des habitants sur Terre détiennent à eux seuls plus que les 99 % restants. Ces 1 % les plus riches polluent 175 fois plus que les 10 % les plus pauvres. En 2010, 388 personnes avaient un patrimoine équivalent à celui de la moitié de la population mondiale. Aujourd’hui, elles ne sont plus que cinq, concentrant les richesses. Et 90 entreprises, responsables des deux tiers des émissions de gaz à effet de serre, mènent le monde et décident de ce que sera notre avenir commun.
Quand on parle de chaos, il faut bien comprendre ce que vont subir les trois quarts de l’humanité dans les décennies qui viennent. On ne peut pas rester bras croisés à attendre que l’ère industrielle engloutisse une partie de l’humanité. Il y a un moment où il faut appeler à la révolte. Sans quoi seuls les plus nantis survivront. Ils s’y préparent d’ailleurs. Ce n’est pas du complotisme mais une réalité chiffrée. J’ai écrit Un nouveau droit pour la Terre pour poser des faits : un bilan planétaire effrayant, des inégalités économiques criantes, et un droit de l’environnement qui n’évolue pas de manière à protéger les conditions de la vie sur terre. Mon second livre, Homo Natura, se penche sur ce qu’il faudrait oser faire pour les pallier.
Vous identifiez plusieurs freins, quels sont-ils ?
Le premier frein, c’est le principe de souveraineté nationale. Chaque État vit dans une vision à court terme et continue à tenir un discours visant à maintenir la croissance. C’est une aberration. Le club de Rome, en 1973, a montré les limites du développement économique : on va arriver à un stade d’épuisement des ressources qui va nous faire basculer dans une crise économique durable.
Des limites biologiques planétaires ont également été définies par le Stockholm Resilience Center depuis 2009 : changement climatique, chute de la biodiversité, mais aussi qualité des sols, usage de l’eau douce, acidification de l’océan et rejets écotoxiques sont autant de menaces pour la paix… Ces limites ont été revues en 2015 et adoptées par les Nations unies comme un des indicateurs pour déterminer les objectifs de développement durable. Elles déterminent le point où l’on bascule dans un état planétaire auquel nous ne sommes pas préparés. Elles devraient être reconnues comme des normes juridiques qui s’imposent à la communauté internationale.
Ce qui s’est passé lors de la conférence sur le climat à Paris montre que personne n’a compris ces enjeux-là. Même si cet accord pose des objectifs intéressants pour limiter le réchauffement, il n’est pas contraignant et peut permettre à Donald Trump de s’en dédouaner. La souveraineté nationale reste la clé de voûte du droit international. C’est pourtant un principe qui peut nuire à la survie de l’humanité. Les États doivent comprendre que le destin de chaque nation est lié à celui des autres. Et revenir à une vision d’abord universelle et idéalement écosystémique.
Du côté des citoyens, certains sont encore dans le déni et n’ont pas envie de quitter leur petit confort des riches cités occidentales. Certains sont dans la sidération : tellement effrayés par ce qu’ils entendent qu’ils ne savent plus quoi faire et sont paralysés. Et d’autres essaient de faire bouger les lignes en disant : « Réappropriez-vous la démocratie et faites revivre une démocratie des territoires où peuvent s’expérimenter une nouvelle forme de vivre ensemble dans le respect des écosystèmes. »
Et c’est là que la sagesse de peuples autochtones est intéressante à analyser : des populations ont réussi à vivre sans abîmer leur environnement pendant des millénaires. Benki Piyako, de la tribu des Ashaninkas, en Amazonie, a décidé qu’ils vivraient désormais en dehors de la société occidentale. Ils ont réappris à vivre en autarcie. Ils ont reboisé leur territoire. Des tortues disparues des rivières ont recommencé à s’y développer par milliers. Il faut à la fois faire en sorte que le droit international s’impose aux politiques nationales au nom d’un intérêt supérieur commun : l’habitabilité de la Terre. Et que les citoyens remettent en place des liens sociaux forts construits sur la solidarité et la coopération qui expriment cette réalité biologique : nous sommes tous interdépendants.
Qui pour représenter les droits de la nature ?
Il existe deux niveaux en droit : le public et le pénal. Il faut agir sur les deux. J’œuvre pour que l’on puisse reconnaître au sein de la Cour pénale internationale (CPI) un cinquième crime contre la paix qui serait le crime d’écocide. Cela permettrait de reconnaître les droits de l’écosystème « Terre » à se maintenir et donc à des citoyens de porter plainte contre des décideurs politiques ou des chefs d’entreprise qui favoriseraient des projets menaçant cet écosystème. Un juge de la CPI pourrait poser des mesures conservatoires en disant : « Il existe des projets industriels qui ne sont plus tolérables car ils participent à la transgression des limites planétaires et donc j’interdis les sables bitumineux en Alberta », par exemple…
Pour ce qui est du droit public, reconnaître les droits de la nature revient à les inscrire dans la Constitution, idéalement, ou à différents niveaux de législation. Cela a commencé à émerger dans les pays sud-américains, sociétés multiethniques très influencées par la pensée autochtone. En 2008, l’Équateur a inscrit les droits de la nature dans sa Constitution ; en 2009, la Bolivie les a reconnus par la loi ; en 2017, ce fut au tour du Mexique de les inscrire dans sa Constitution. C’est en train d’exploser dans le monde.
Dans un État du nord de l’Inde, face à l’incompétence des politiques pour régler la pollution du Gange, un des dix fleuves les plus pollués au monde, une juridiction a décidé en mars 2017 de reconnaître ce fleuve comme une entité vivante, de même que son affluent, la Yamuna, et tous les écosystèmes himalayens sur son territoire. Elle leur a donné une personnalité juridique, de même que la possibilité pour des personnes désignées « des parents » – du latin parentis – de parler au nom des écosystèmes quand ils sont menacés. Ils se sont inspirés de la spiritualité indienne pour le justifier : le Gange est reconnu comme une déesse qui abreuve plusieurs États. La Nouvelle-Zélande a aussi reconnu un parc et un fleuve comme des entités vivantes et leur a donné la possibilité d’être défendus en justice avec comme gardiens la communauté Maori, laquelle considère ces écosystèmes comme ses ancêtres. Les Maoris se battent pour cela depuis 150 ans et viennent de l’obtenir d’un gouvernement blanc occidental.
On peut donc envisager que des juges occidentaux s’intéressent à ces sujets. Aux États-Unis, trente municipalités ont reconnu les droits de la nature dans leur législation locale, ce qui leur a permis de se défendre contre des projets de fracturation hydraulique. Comme on ne peut encore, en droit, défendre les droits des générations futures, car ce sont des personnes non nées, c’est une parade efficace pour contrer des projets dont les conséquences néfastes ne sont pas immédiates sur l’homme. Enfin, une plainte vient d’être déposée aux États-Unis pour faire reconnaître la rivière Colorado par la justice comme une entité vivante. En Nouvelle-Calédonie, dans les îles Loyauté à 90 % Kanak, ils sont en train d’adopter un code de l’environnement qui reconnaît le principe unitaire de vie et qui pourrait, à terme, être inscrit dans le code civil français si la Nouvelle-Calédonie ne devient pas totalement indépendante en 2018. Ce serait une jurisprudence extraordinaire.
Finalement, il n’y a pas de différence entre représenter un mineur en justice et défendre un écosystème. Dans le cadre de la défense des droits de la nature, c’est parfois des décisions politiques mais souvent le courage de certains juges qui permet de faire avancer une jurisprudence de la Terre. Il existe aux Nations unies une initiative nommée « Harmony with Nature », dont je fais partie, qui travaille sur cette jurisprudence. La jurisprudence concernant notre droit à un environnement sain contribue également à faire avancer la justice climatique.
Partout dans le monde, des juges ont à se prononcer dans des recours juridiques « climat » contre l’État. C’est d’ailleurs l’objet d’un colloque inédit organisé à Paris le 3 novembre, réunissant les acteurs, citoyens et ONG, qui de par le monde attaquent leurs gouvernements en justice pour non-respect de ses engagements climatiques [3]. Il faudrait pouvoir reconnaître le droit des générations futures à vivre dans un climat tempéré et un environnement sain. Et de reconnaître à l’atmosphère terrestre le droit de ne pas être perturbée par l’activité humaine. Une sorte d’intégrité et de pérennité climatique à défendre. La Terre a subi énormément d’évolutions en 3,7 milliards d’années mais un changement d’ère géologique en moins de 150 ans, ça ne s’est vu qu’à cause d’une météorite ou d’explosions volcaniques, mais jamais à cause de l’activité d’une espèce vivante : en l’occurrence l’homme.
Droits de la nature, lutte contre la déforestation et l’exploitation des énergies fossiles, contrer les multinationales… où commence l’urgence ?
Je défends une vision écosystémique du monde : pas de hiérarchie dans les fronts. Les limites planétaires nous démontrent bien qu’il y a des boucles de rétroactions entre les événements. Le changement climatique a un impact sur la chute de la biodiversité, laquelle a un impact sur le changement climatique : quand on déforeste, on détruit les espèces mais on a aussi un impact sur les cycles des pluies. Déforester l’Amazonie va créer une zone désertique et avoir un impact sur le climat mondial. Il est normal que chaque front citoyen, chaque ONG se spécialise sur un domaine, mais il faut revendiquer des choix politiques et un droit qui essaie de répondre à toutes les problématiques en même temps. C’est pourquoi je défends cette idée de placer les limites planétaires, qui sont des indicateurs scientifiques, comme des normes internationales pour cadrer les activités industrielles. Ce basculement normatif mais aussi philosophique concernant le droit de la nature à exister s’impose et nous permettrait de retrouver notre juste place.
Vous évoquez des modes de gouvernance écosystémiques ? En quoi cela consisterait ?
La fonction des politiques est de créer des lois. Le droit est toujours un état des lieux de notre conscience collective. Nous percevoir comme interdépendants les uns des autres et des autres écosystèmes permet de construire une vision politique différente. Elle doit prendre appui sur de nouveaux leviers. Le niveau étatique montre ses limites puisque la souveraineté nationale menace la paix dans le cadre du changement climatique, chaque État ayant à cœur dans une vison court-termiste et électoraliste de défendre son économie avant tout, sans considération pour les conséquences à l’échelle planétaire. Des modes de gouvernance respectueux des écosystèmes doivent alors s’expérimenter à un niveau local et montrer l’exemple. Aujourd’hui, les villes vont plus vite que les États. Des métropoles un peu partout dans le monde se sont engagées à respecter les accords de Paris. Et les droits de la nature sont d’abord adoptés dans des territoires avant de l’être par l’État. Je crois aussi que chaque citoyen devrait agir en priorité selon des lois universelles pour réaffirmer que nous sommes d’abord des habitants de la Terre avant d’être les citoyens d’une nation.
En attendant que ce droit se mette en place, la demande citoyenne est-elle contrainte à des formes de désobéissance ?
J’entrevois deux formes de désobéissance : boycotter des produits de consommation courante qui sont destructeurs. Il faut déserter les supermarchés, changer de mode de consommation, appuyer les circuits courts et l’agro-écologie. L’appel au boycott est interdit en France mais on peut se mettre dans une démarche à titre individuel. Le bio explose en France mais aussi de nouveaux mode de dé-consommation : la pénurie de vinaigre blanc et de savon de Marseille dans les rayons en témoigne et c’est enthousiasmant. Il faut aussi remettre en place des formes de démocratie directe dans les territoires pour sortir d’une démocratie représentative qui déresponsabilise chacun et brise la solidarité. Ce changement viendra du bas. Ça peut paraître long face à l’urgence posée par changement climatique. Mais nous, dans les pays tempérés, vivons encore de manière très confortable. Nous avons donc encore quelques années pour anticiper ce qui va se passer et se préparer à la suite, ce que ne peuvent pas faire les populations qui sont déjà dans la survie. C’est un luxe. Il faut donc semer des graines de résilience pour que les populations prennent conscience qu’elles ne pourront plus vivre comme aujourd’hui et leur donner les moyens de s’adapter.
Propos recueillis par Ingrid Merckx
[1] Homo Natura, en harmonie avec le vivant, Valérie Cabanes, Buchet Chastel, 128 pages, 12 euros.
[2] Un nouveau droit pour la Terre, Valérie Cabanes, coll. « Anthropocène », Seuil, 368 p., 20 euros.
[3] « Le droit au service de la justice climatique », colloque organisé par Notre Affaire à tous et la Fondation France-Libertés, le 3 novembre, Maison des sciences de l’Homme Paris-Nord, 20, av. George-Sand, Saint-Denis la Plaine.
Un point de vue développé dans la revue La pensée écologique, coordonnée par Dominique Bourg.
Reconnaître le crime d’écocide pour faire face à l’effondrement. Valérie Cabanes
Vol 1 (1) – octobre 2017
Depuis 2012, des peuples autochtones du continent africain, préoccupés par l’état de santé détérioré de la planète et l’avenir de nos enfants, indignés par toutes les destructions que l’industrialisation fait subir à la nature et en l’absence de cadre contraignant l’activité humaine au respect des limites planétaires connues, ont travaillé à la rédaction d’une déclaration présentée en 2015 et nommée : Déclaration des communautés gardiennes africaines. Cette déclaration se présente comme un appel à l’action auprès de la Commission africaine, chargée de faire appliquer la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, pour la reconnaissance et la protection des sites naturels et des territoires sacrés ainsi que des systèmes de gouvernance coutumiers en Afrique. L’appel, inspiré par les recommandations d’un rapport de 2012 sur le même sujet au Kenya, propose de placer la Terre comme référence ultime pour toute forme de vie ou d’activité sur la planète et de la reconnaître comme pivot du Droit. Ainsi, grâce à un continuel plaidoyer, dans des pays comme l’Afrique du Sud, l’Éthiopie, l’Ouganda, le Kenya, le Bénin, le Ghana, des écosystèmes comme des chutes d’eau, des rivières, des forêts, des montagnes, des lacs ont été reconnus comme des sites sacrés et ont pu être protégés de l’exploitation industrielle en leur donnant par exemple le statut de réserve de biosphère par l’Unesco.
Cette démarche est à l’œuvre partout dans le monde. Des peuples autochtones, habitants originaux des continents du monde, revendiquent la protection de sites naturels qu’ils considèrent comme sacrés. Malgré le fait que ces populations possèdent différentes cosmologies et différents symboles, elles tirent leurs lois et leurs coutumes d’une vérité centrale considérant la Terre comme « la mère de toute forme de vie » et comme une entité légitime et ordonnée. Ces traditions révèrent leurs terres ancestrales car elles constituent la source primaire du sens de la vie et de toute identité. Quand elles sont maintenues, la connaissance et la sagesse du droit ancien sont transmises par les ainés, des hommes et des femmes sages responsables de la pratique des rituels de la terre, de la médiation avec les ancêtres, de la transmission de leurs connaissances aux générations suivantes. Les sites naturels sacrés sont des territoires d’importance écologique, culturelle et spirituelle, intégrés dans les terres ancestrales. Pour eux, un territoire comprend les plantes, les animaux, les esprits des anciens, toute forme de vie sur terre, y compris les humains, et atteint les profondeurs de la terre, dont le sous-sol et plus loin, les roches et les minéraux ainsi que les hauteurs du ciel jusqu’aux constellations célestes. Leur rôle et leur signification leur sont irremplaçables. Ce sont des centres de connaissances et d’apprentissage intergénérationnel, et c’est ainsi qu’elles deviennent des sources de droit. Les systèmes de gouvernance coutumiers sont en effet fondés sur la relation que ces peuples entretiennent avec ces lieux. Leurs lois coutumières découlent ainsi des lois de la Terre et ils se considèrent comme garants de leur application.
L’écosystème Terre, notre maison commune, est détruit par des technologies industrielles irrespectueuses du vivant, conduisant à hypothéquer les conditions de vie des générations actuelles et futures. Des personnes physiques mais aussi des entités morales doivent pouvoir être poursuivies pour les crimes les plus graves commis contre l’environnement : en temps de paix comme de conflits armés, ces crimes portant atteinte à la sûreté de la planète.
HISTORIQUE DU CONCEPT
Le terme s’est fait connaître durant la guerre du Viêtnam. Le biologiste Arthur W. Galston, qui avait participé à des recherches sur les herbicides en 1942-1943 dans le cadre de son doctorat, a lancé un appel dès 1966 au sujet des risques sur l’environnement et la santé humaine que faisait courir l’opération Ranch Hand de l’armée américaine. Cette opération visait à défolier tous les territoires où pouvait se cacher l’ennemi au sud du Viêtnam et à ses frontières avec le Laos et le Cambodge.
Lors d’une conférence en 1970, il dénonce cet « écocide » en cours, utilisant ce terme pour la première fois. Deux ans plus tard, lors de l’ouverture de la Conférence des Nations unies de 1972 sur l’environnement à Stockholm, le Premier ministre suédois Olof Palme décrit lui aussi la guerre du Viêtnam comme un « crime qualifié parfois d’écocide, qui requiert une attention internationale ». En parallèle, une manifestation publique en faveur de la reconnaissance de l’écocide rassemble plus de 7 000 participants en soutien à l’idée que le crime d’écocide soit reconnu internationalement. Richard Falk, professeur de droit international à Princeton, réfléchit alors à la façon de l’intégrer dans le droit international du moment. Il compare publiquement « l’agent orange à un Auschwitz aux valeurs environnementales ». Il propose alors en 1973 d’élever l’écocide au même rang que le génocide à travers la rédaction d’une convention.
Au Viêtnam, des voix s’élèvent dès 1968 pour qualifier l’écocide vietnamien de « guerre contre une terre et des non nés » afin de rappeler que les actes de guerre commis par les américains allaient au-delà de la définition des crimes établis lors du procès de Nuremberg. Ses conséquences touchaient non seulement des civils mais aussi des personnes non encore nées, des générations futures.
En 1993, la Commission du droit international soumet à l’Assemblée générale un projet de Statut fondant la Cour pénale internationale (CPI) nommé Code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité sur lequel elle avait commencé à travailler en 1948. Il définit le crime de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. Dès lors, se nouent des négociations intergouvernementales qui dureront trois décennies.
Le concept d’écocide y est discuté et trois options sont envisagées au sein des Nations unies sur la façon d’inclure l’écocide dans le futur Statut de la CPI : le considérer comme crime autonome, l’inclure dans les crimes contre l’humanité ou dans les crimes de guerre.
DÉFINITIONS PROPOSÉES D’UN ÉCOCIDE
Le Rapport Whitaker, présenté en 1985 à la sous-commission de l’Onu, était chargé de l’étude sur la prévention et la répression du crime de génocide, un des plus importants dans le processus d’examen du caractère génocidaire de certains massacres contemporains. Il recommande clairement l’inclusion de l’écocide en tant que crime autonome aux côtés de celui de génocide mais aussi d’ethnocide ou génocide culturel. Il définit l’écocide comme :
« Des changements défavorables, souvent irréparables, à l’environnement – par exemple par des explosions nucléaires, des armes chimiques, une pollution sérieuse et des pluies acides, ou la destruction de la forêt tropicale – qui menacent l’existence de populations entières, délibérément ou par négligence criminelle. » (Whitaker, 1995)
Contribution au numéro 50 du magazine L’Ecologiste : « Quels droits pour la nature »
Thème du dossier : les relations homme-animal.
Que savons-nous aujourd’hui de l’animal ? Quelle est son histoire et la nôtre ? Un extraordinaire tour d’horizon de la biologie à la philosophie. Paru le 7 octobre 2017.
Extrait de l’article « Quels droits pour la nature »:
Lors de la conférence mondiale des peuples sur le changement climatique et les droits de la Terre-mère qui s’est tenue à Cochabamba en Bolivie en 2010, une Déclaration universelle des droits de la Terre fut rédigée et proposée aux Nations Unies pour affirmer la nécessité de protéger la nature pour sa valeur intrinsèque, celle qui permet à la vie de se maintenir.
Cette prise de conscience a émergé dans des pays d’Amérique du Sud sous l’influence des modes de vie et de pensée de ses populations autochtones. Elle a permis progressivement l’adoption de lois nationales ou locales sur tout le continent américain. C’est le cas en Équateur depuis 2008, en Bolivie depuis 2009, au Mexique depuis 2017, mais aussi aux États‐Unis où une trentaine de municipalités ont voté des lois octroyant aux communautés naturelles et aux écosystèmes une personnalité juridique et à la population le droit de les défendre en justice. Certaines cours de justice ont parfois reconnu comme entités vivantes des écosystèmes en péril, comme la grande barrière de corail au Belize en 2010 ou le fleuve Atrato en Colombie en 2017.
L’année 2017 fut le théâtre de décisions spectaculaires permettant une montée en puissance au niveau international des droits de la nature. Le 15 mars 2017, le Parlement néo‐zélandais a entériné des accords passés en 2012 et 2014, entre la communauté maori iwi Whanganui et le gouvernement, qui reconnaît la rivière Whanganui et le parc national te Urewera comme des entités vivantes et leur octroie des droits et des devoirs. Ce peuple maori considère que la rivière et la forêt sont leurs ancêtres et qu’ils ont le devoir et le privilège d’en prendre soin en les traitant comme des membres de leur famille. Un représentant de l’État et le peuple iwi Whanganui ont été nommés dépositaires des droits de ces écosystèmes après 150 ans de négociation. Comprenant que l’État n’accepterait pas de leur céder ses droits territoriaux, les Iwi ont proposé que personne, ni eux ni l’État, ne soit propriétaire de la rivière ni du parc et et que ces derniers puissent être reconnus comme des entités vivantes, ce qui fut accepté. La gouvernance de l’eau et du parc sera ainsi partagée et devra garantir la protection des droits de la rivière et des forêts. Quand quelqu’un voudra « utiliser » l’eau, le sol ou les arbres, il devra désormais tenir compte des besoins de toute autre personne et en premier lieu des besoins des écosystèmes.
Quelques jours plus tard, c’est la Haute Cour de l’État d’Uttarakhand, en Inde du Nord, qui a reconnu comme des personnes tous les écosystèmes himalayens sur son territoire : le Gange mais aussi son affluent la rivière Yamuna, les glaciers Gangotri et Yamunotri, les rivières, les ruisseaux, les lacs, l’air, les prairies, les vallées, les jungles, les forêts, les sources et les cascades. (…) lire la suite sur http://www.ecologiste.org/index.html