Tribune. Depuis le 14 février, et le premier mort du Covid-19, la pandémie accroît toutes les injustices sociales. La France est solidaire et applaudit tous les soirs les médecins et soignants mobilisés pour tenter de guérir les malades. Les caissières et éboueurs prennent en charge d’essentielles fonctions sociales dans des conditions dangereuses, tout comme d’autres assurent les soins aux personnes âgées ou vulnérables. La grande majorité de la population s’est repliée dans ses logements, tandis qu’au dehors, les forces de l’ordre rappellent à ceux qui l’oublient la nécessité de se confiner et d’être prudent. Mais il y a des exactions. Ce qui met notre solidarité en danger.

Le 13 avril, notre président a appelé «à la solidarité et à la fraternité». Selon lui, «il y a dans cette crise une chance pour nous ressouder, éprouver notre humanité, bâtir… une raison de vivre ensemble profonde, avec toutes les composantes de notre nation».
Pourtant, en fait de fraternité, nous sommes témoins de nombreuses violences vis-à-vis des précaires et démunis.

Il y a ces policiers de Béziers qui, le soir du 8 avril, se sont assis sur les fesses de cet homme SDF d’environ 30 ans qui aurait refusé leur contrôle, interpellation qui l’aurait «calmé», mais qui a provoqué son décès (1).

Il y a ces policiers qui ont mis à l’amende les personnes SDF auxquelles l’Etat ne procure aucun toit pour se protéger, alors que les laisser dehors constitue une mise en danger de la vie d’autrui. Sur certaines attestations à remplir, c’est «sans-abri», «sans-domicile», que les personnes avaient inscrit comme adresse. Qu’auraient-elles pu inscrire d’autre alors qu’elles sont à la rue et sans moyen de se confiner ?
Pire, on continue à évacuer les campements de réfugiés, alors que la crise du Covid-19 devrait plutôt conduire à leur donner les moyens de se confiner.

Il y a cet appel au secours d’Utopia 56, le 17 mars, quand la police est venue à 23 heures déloger de leurs tentes les familles (dont 20 enfants) installées boulevard Ney à Paris.
Il y a ces quatre policiers à cheval à Aubervilliers qui, le 18 mars, ont repoussé les personnes exilées dans un camp insalubre, puis menacé l’association Médecins du monde venue leur apporter des soins de base (2).
Il y a ces personnes sans papiers enfermées dans les centres de rétention de Vincennes et du Mesnil-Amelot, en présence de cas de Covid-19, et auxquelles la police a refusé qu’on apporte le moindre secours (3).

Encore pire, nous constatons la poursuite des violences inqualifiables de lacération de tentes et de destruction des ressources des plus démunis.

Il y a le 31 mars, côté Paris, sous un pont vers la Porte de la Villette, ces tentes d’Afghans détruites par la police, qui leur dit d’aller de l’autre côté du périphérique, à Saint-Denis. Il y a le même jour, côté Saint-Denis, avenue Wilson, la police qui démantèle un campement et enjoint aux occupants d’aller de l’autre côté du périphérique, cette fois vers la Porte de la Chapelle, à Paris.

Il y a le 7 avril, tôt le matin, à Aubervilliers de nouveau, ce campement de réfugiés qui est démantelé, les tentes étant lacérées par les forces de l’ordre, sans qu’aucune mise à l’abri ne leur soit proposée. Les policiers leur ont dit de retourner dans la capitale, à la Porte de la Chapelle, là où les personnes exilées sont systématiquement dispersées et renvoyées de l’autre côté du périphérique.

L’exigence de confinement protège le plus grand nombre. Mais elle devient une menace pour les plus vulnérables d’entre nous, quand elle est utilisée comme prétexte pour attaquer ceux qui n’ont ni logement, ni papiers, ni droits pour les protéger. Et nos élans de solidarité se brisent quand les démunis sont davantage enfoncés dans leur misère. Tout se passe comme si l’occasion de la crise sanitaire élargissait les brèches dans l’Etat de droit, à travers lesquelles les pulsions xénophobes et répressives se déversent furieusement.

Les personnes précaires, exilées et sans-papiers ont droit à la solidarité et à l’égalité des droits d’autant plus dans cette terrible période de crise. Les pouvoirs publics doivent recadrer fermement les forces de l’ordre et sanctionner leurs violences. La crise du Covid-19 ne doit pas devenir une aubaine pour les tenants de l’extrême droite au sein de la police qui rêvent de nettoyer la France des immigrés, des réfugiés et demandeurs d’asile.

Le combat contre l’épidémie emporte l’adhésion de toutes les catégories de la population, par-delà nos différences. Notre solidarité ne doit pas comporter d’exclus ni être défigurée par des exactions des forces de l’ordre.

Signataires : Sabah Abouessalam-Morin Sociologue, enseignant-chercheur, Valérie Cabanes Juriste internationaliste, ­porte-parole de End Ecocide on Earth, présidente d’honneur de Notre affaire à tous, Aubépine Dahan Sociologue, militante à Paris d’Exil, Susan George Ecrivaine, Dominique Méda Sociologue, Véronique Nahoum-Grappe Anthropologue, Dominique Bourg Philosophe, Claude Calame Historien, Philippe Desbrosses Agrobiologiste, Jean Gadrey Economiste, Georges Menahem Sociologue et économiste, Edgar Morin Sociologue et philosophe, Jacques Testart Biologiste, Patrick Viveret Philosophe, Michel Wieviorka Sociologue, et le Collectif Solidarité Migrants Wilson.

(1) Le Monde du 9 avril.
(2) Vidéo du 18 mars disponible sur la page Facebook du collectif SMW : Solidarité Migrants Wilson
(3) Mediapart, le 13 avril.