Conférence France Inter : Demain, notre planète : changer
Jeudi 21 novembre 2019 de 20h à 22h
Conférence animée par Mathieu Vidard en direct du studio 104 de la Maison de la Radio et dans 150 salles de cinéma
France Inter vous propose une première conférence le 21 novembre 2019 autour du thème Changer.Animée par Mathieu Vidard, producteur de La Terre au carré, nous tenterons de répondre aux questions que l’on se pose : Comment se mettre en mouvement pour engager une transition durable ? Comment changer nos modes de vie et rêver le monde de demain ? Épuisement des ressources. Dérèglement climatique. Effondrement de la biodiversité. De la prise de conscience à l’engagement…Deux heures pour faire le tour des avancées écologiques avec des experts et spécialistes du secteur :
Hubert Reeves : Astrophysicien, écologiste, président d’honneur de l’association Humanité et Biodiversité et de l’Agence française pour la biodiversité
Aurélien Barrau : Astrophysicien, lanceur d’alerte, auteur de Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité (Ed. Michel Lafon)
Cynthia Fleury : Philosophe et psychanalyste, elle a dirigé l’ouvrage _Le souci de la nature. Apprendre, inventer, gouverner (_Ed. du CNRS)
Valérie Cabanes : Juriste en Droit International spécialisée dans les Droits de l’Homme, porte-parole du mouvement citoyen « End Ecocide on Earth », auteure de Homo natura, En harmonie avec le vivant (Ed. Buchet Chastel)
► La conférence sera diffusée en direct dans les salles de cinéma partenaires et depuis le studio 104 de la Maison de la Radio :retrouvez la liste des cinémas ici
La Voix est libre avec Valérie Cabanes, juriste en droit international, spécialiste des droits de l’homme et du droit humanitaire, elle porte le projet de reconnaissance par la justice de l’écocide comme un crime contre la paix et les générations futures, au nom de la terre et du vivant.
« Quand le politique n’est plus à même de protéger la planète, il faut se tourner vers les juges ».
Co-fondatrice de l’ONG Notre affaire à tous qui attaque l’État français en justice pour inaction climatique, Valérie Cabanes nous éclaire sur le rôle potentiel d’un juriste dans le cadre de la transition écologique.
La juriste Valérie Cabanes, spécialisée dans les droits de l’homme et le droit humanitaire, combat pour faire reconnaître l’écocide, ou crime contre l’environnement.
Propos recueillis par Frédéric JoignotPublié le 04 janvier 2019 à 13h00 – Mis à jour le 05 janvier 2019 à 16h02
Extrait:
Vous demandez qu’on accorde un statut de personnalité juridique à des entités naturelles. Pourquoi ?
Aujourd’hui, le droit manque d’une vision écosystémique et il ne reconnaît les préjudices écologiques – quand il les reconnaît – qu’après le désastre. Il nous faut absolument adopter une posture préventive. Or, c’est ce que permet l’attribution d’une personnalité juridique à la nature. Celle-ci peut alors défendre son droit « fondamental » – donc non conditionné à des devoirs – à exister, se régénérer et s’épanouir, indépendamment des services qu’elle rend ou pas aux humains. Ce qui, au final, permet aux espèces et écosystèmes vivants de jouer leur rôle dans le maintien de la vie sur Terre.
Certains pays ont-ils commencé à faire évoluer leur droit dans ce sens ?
En Nouvelle-Zélande, l’accord trouvé à propos du statut de la rivière Whanganui entre la tribu maorie locale et le gouvernement a permis de reconnaître l’unité indivisible du fleuve et son statut d’être vivant (appelé « Te Awa Tupua »), en englobant tous ses éléments physiques et métaphysiques depuis les montagnes jusqu’à la mer. Mais aussi de lui attribuer une personnalité juridique. Il faut retenir de cette jurisprudence la volonté affichée, par des populations autochtones ou par des juges soucieux de l’avenir des générations présentes et futures, de mieux préserver l’environnement en reconnaissant la nature comme sujet de droit. Car aucun des droits fondamentaux de l’homme ne pourra être garanti si les écosystèmes dont nous dépendons ne sont pas protégés pour leur valeur intrinsèque.
Lors du Festival Taragalte 2018, une discussion s’est engagée avec les associations locales sur M’Hamid autour de la problématique de l’Eau et de la résilience des territoires.
La région subit de plein fouet le réchauffement climatique avec une avancée du désert qui submerge les villages et une raréfaction de l’eau dans les palmeraies qui pousse les habitants à l’exode. La gestion traditionnelle de l’eau est de plus mise à mal par une main-mise de sa gestion par l’Etat : barrage de Ouarzazate qui empêche à l’eau de l’Atlas de couler jusqu’au désert, canaux d’irrigation qui ne profitent pas à tous, exploitations industrielles autour de Zagora qui assèchent les nappes phréatiques et les puits.
Un projet de Tribunal citoyen pour la reconnaissance des droits des Oasis a émergé afin d’alerter et de susciter une prise de conscience de la nécessité de reconnaitre aux écosystèmes et aux habitants du désert leur droit à exister. A suivre en 2019.
Thierry Spas, Lahcen Kaibiri, Valérie Cabanes et Amine Belemlih
Les principes fondamentaux de l’ordre Westphalien (souveraineté des États-nations, principe de territorialité défini par des frontières, non-ingérence, équilibre des puissances, droit de la guerre…); ces principes sont-ils remis en cause par le dérèglement climatique ?
Déforestation, acidification des océans, fonte des glaces, montée du niveau des océans, extinctions massives d’espèces animales, pollutions aussi diverses que destructrices, depuis l’avènement de l’ère industrielle, l’impact de nos activités sur l’environnement ne cesse de croître. Le développement récent de nos sociétés s’est fait sous un principe philosophique potentiellement problématique : l’homme doit dominer la Nature pour quitter l’état sauvage. Mais que faire aujourd’hui pour changer la donne ? Avons-nous des outils qui nous permettent de repenser notre relation à la Nature et plus globalement à la Terre sur laquelle nous vivons ?
04:55 : Un peu d’histoire
06:22 : L’ère anthropocène ?
07:20 : Les victimes de l’anthropocène
09:26 : Les limites planétaires
15:35 : Une Terre inhospitalière
27:37 : Intégrer ces limites dans le droit ?
36:09 : Les limites de la croissance
42:23 : Qui pollue le plus ?
44:46 : Amener les entreprises devant les tribunaux ?
56:19 : Des droits pour la Nature ?
59:57 : Inverser la hiérarchie des normes juridiques.
01:04:45 : Un mouvement déjà mondial.
01:13:10 : Reconnaître le crime d’écocide
Le 20 juin dernier, Nicolas Hulot a annoncé, que dans le cadre de la réforme constitutionnelle souhaitée par Emmanuel Macron, et après débat et réflexion autour d’une réécriture de l’Article 1er de la Constitution qui définit les principes fondamentaux de la République, le gouvernement se disait prêt à y inscrire l’obligation d’agir contre les changements climatiques et pour la préservation de la biodiversité (et non dans l’article 34, comme initialement prévu, NDLR).
Ce serait une avancée certaine si le climat et la biodiversité devenaient des valeurs aussi fondamentales que l’égalité ou la liberté, la dignité ou le bien-être, car en effet aujourd’hui les droits fondamentaux humains ne peuvent plus être garantis sans que les systèmes écologiques de la Terre dont nous dépendons pour respirer, boire, manger, nous soigner soient préservés. Inscrire des principes écologiques à l’Article 1 de la Constitution, d’autant plus quand ils ne l’ont pas été, comme pour le climat, dans la Charte de l’environnement de 2004, permettrait de s’opposer à des lois votées par les gouvernements successifs qui iraient à l’encontre des objectifs visés par l’Article 1er. Il s’agirait de saisir le Conseil constitutionnel pour qu’il vérifie la conformité des lois à la Constitution ou d’empêcher leur promulgation, via la question prioritaire de constitutionnalité qui peut être enclenchée par tout citoyen. Ainsi nous pourrions beaucoup plus facilement empêcher toute velléité de tolérer ou autoriser des projets industriels polluants, dévastateurs de la faune et de la flore ou émetteurs de gaz à effet de serre. Rattacher nos modes de gouvernance à la réalité biologique du monde
Mais pour que cet Article 1er soit véritablement contraignant et donc efficace, il y manque encore plusieurs points essentiels. Nicolas Hulot a proposé sans obtenir de consensus au sein du gouvernement d’y inscrire le principe de finitude des ressources par exemple. Il serait aussi nécessaire de choisir des verbes plus engageants que celui d’« agir » en adoptant celui de « garantir ». Mais au-delà nous manquons surtout d’une vision écosystémique qui rattacherait nos modes de gouvernance à la réalité biologique du monde.
C’est la proposition bien plus ambitieuse portée depuis fin 2017 par plusieurs ONGs telles que Notre affaire à Tous et la Fondation pour la Nature et l’homme, et rejointes en mars 2018 par Climates, le Refedd, Warn et une vingtaine d’autres autour d’ un appel citoyen pour une Constitution écologique. Ces dernières demandent de poser dans la Constitution l’obligation de la République de respecter le cadre des limites planétaires telles que définies dès 2009, par une équipe internationale de 26 chercheurs, menés par Johan Rockström du Stockholm Resilience Center et Will Steffen de l’Université nationale australienne. Elle a identifié neuf processus et systèmes régulant la stabilité et la résilience du système terrestre – les interactions de la terre, de l’océan, de l’atmosphère et du vivant qui, ensemble, fournissent les conditions d’existence dont dépendent nos sociétés. Pour chacun de ces processus ou systèmes, des valeurs seuils ont été définies, des limites qui ne doivent pas être dépassées si l’humanité veut pouvoir se développer dans un écosystème sûr, c’est-à-dire évitant les modifications brutales et difficilement prévisibles de l’environnement planétaire. Par exemple la concentration de CO2 dans l’atmosphère ne doit pas dépasser 350 ppm, le taux de disparition d’espèces ne doit pas excéder 10 espèces par million et par année. Or nous sommes à 411 ppm de CO2 en 2018, un cap jamais atteint depuis des millions d’années, et connaissons un taux d’extinction annuel 100 fois plus élevé que ce qui est tolérable, constituant un anéantissement biologique.
Les limites planétaires identifiées par l’équipe de Rockström.
L’équipe de Steffen et Rockström confirme que nous avons déjà dépassé ces deux « limites fondamentales » à la sûreté de la planète que sont le changement climatique et l’intégrité de la biosphère. L’équipe de Steffen et Rockström met aussi en garde sur le fait que depuis 2015 d’autres limites sont franchies. Il s’agit du changement d’usage des sols et de la modification des cycles biogéochimiques (phosphore et azote). Le dernier rapport en date sur le sujet, celui de l’Atlas Mondial de la Désertification publié le jeudi 21 juin, confirme la gravité de cette situation. Le seuil des 75 % de terres endommagées par l’humanité a été atteint à travers le monde et pourrait concerner 90 % des sols d’ici 2050, augmentant considérablement le nombre de personnes déjà poussées à l’exode par le changement climatique et la pénurie d’eau en cours. Les déplacés se compteront par centaines de millions dans 30 ans, et pourraient atteindre le chiffre de 10 milliards entre aujourd’hui et 2100.
Les limites de la planète, un nouveau cadre contraignant
Nous touchons ici au cœur de la dynamique des limites planétaires et de leur utilité. Transgresser une limite planétaire augmente les chances de se rapprocher d’autres limites, comme l’usage de l’eau douce mais aussi l’acidification des océans, la déplétion de la couche d’ozone, le trop plein d’aérosols atmosphériques, la pollution chimique (plus largement l’introduction d’entités nouvelles dans la biosphère), nous entraînant dans une spirale destructrice à laquelle l’humanité ne pourra échapper dans de nombreuses régions du monde, y compris dans les pays riches. C’est pourquoi le cadre des limites planétaires dans leur ensemble doit constituer un nouveau cadre contraignant et protecteur de nos droits et a toute sa place au sein de notre Constitution de sorte que nous puissions nous prémunir de l’insouciance industrielle.
Il faut s’attendre à une levée de boucliers face à cette idée qui fâche certains, car elle menace la liberté d’entreprendre et au-delà la foi aveugle de beaucoup de nos dirigeants politiques et économiques dans le dogme de la croissance. Si l’on ne s’appuie pas aujourd’hui sur des données scientifiques, si l’on ne norme pas les seuils chiffrés qui nous indiquent où est la frontière entre notre zone de confort et la zone de danger, nous prenons chaque jour un peu plus de risques pour nous et les générations suivantes. A cet attelage, doit d’ailleurs être attaché un dernier verrou de sécurité : le principe de non-régression environnementale. En effet, il ne doit pas être permis aux gouvernements suivants de pouvoir défaire tout cadre protecteur de l’écosystème terrestre et de nos droits tel que définis dans le bloc de constitutionnalité (Constitution, Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, préambule de la Constitution de 1946, Charte de l’environnement de 2004) car il ne peut plus être toléré qu’une génération assujettisse les générations futures à des lois moins protectrices que celles en vigueur.
L’Invité des Matins d’été par Olivia Gesbert – Avec Cyril Dion et Valérie Cabanes
le 5 juillet 2018
“Il est grand temps de passer d’une société orientée vers les choses à une société orientée sur les êtres.”
Ce sont les mots de Martin Luther King, prononcés le 4 avril 1967 devant l’église Riverside de New York, alors qu’il condamne fermement la guerre du Vietnam. Ces paroles font aujourd’hui office d’introduction pour le nouvel ouvrage de Cyril Dion. Après avoir réalisé le documentaire Demain, il publie son “Petit manuel de résistance contemporaine” aux éditions Actes Sud. Co-fondateur du mouvement Colibris, il estime que nous sommes face à un danger [environnemental] d’une ampleur comparable à celui d’une guerre mondiale”. Ne comptant pas sur “la bonne volonté des responsables politiques”, il croit au pouvoir des imaginaires et des grands récits pour “engager une véritable « révolution »”.
Comme lui, Valérie Cabanes, auteure de l’essai Homo natura : en harmonie avec la nature, déplore la mainmise des êtres humains sur la “Terre mère”. “Nous scions la branche sur laquelle nous sommes assis et fermons les yeux” dénonce t-elle, souhaitant que le crime d’écocide soit reconnu au niveau international. Est-il trop tard pour mettre en place un plan biodiversité ?